De l’économie et de la cruauté d’un remaniement

Le premier ministre a serré la main du lieutenant-gouverneur, Michel Doyon, lors de la cérémonie d’assermentation de son cabinet.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le premier ministre a serré la main du lieutenant-gouverneur, Michel Doyon, lors de la cérémonie d’assermentation de son cabinet.

On l’a répété : un remaniement est un exercice difficile, voire éprouvant. Philippe Couillard a parlé de cruauté quand il s’est exprimé sur le sort qu’il a réservé à Robert Poëti, ex-ministre des Transports redevenu simple député. Mais si un remaniement peut s’avérer cruel et injuste, il force un premier ministre à marcher sur son orgueil et à reconnaître certaines de ses erreurs.


François Blais aura fait 11 mois comme ministre de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. C’est un mois de plus qu’Yves Bolduc, qu’il a remplacé. Décidément, Philippe Couillard a du mal à choisir un titulaire à l’Éducation — une priorité de son gouvernement, a-t-il répété jeudi — qui tienne la distance.

À sa décharge, il faut rappeler que le premier ministre a nommé François Blais à l’Éducation en catastrophe, alors que l’ancien doyen, néophyte en politique, semblait bien se débrouiller à l’Emploi et à la Solidarité sociale. Tout compte fait, il est peut-être mieux pour un gouvernement que le principe de Peter se manifeste rapidement. Avant, surtout, qu’une réforme majeure ne s’amorce, comme c’est le cas avec le branle-bas qui attend les commissions scolaires.

François Blais était très heureux, jeudi, de regagner ses pénates au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Il faut dire qu’il est l’artisan des mesures visant à comprimer quelque 200 millions à l’aide sociale, mesures avec lesquelles son successeur, Sam Hamad, a dû se dépêtrer. On pense au projet de loi 70, qui vise à « encourager » les jeunes assistés sociaux à gagner le marché du travail en les menaçant de réduire de moitié leurs prestations, une économie de 50 millions, ou encore aux coupes affectant des toxicomanes en cure de désintoxication. François Blais reprend le ministère là où il l’avait laissé, en quelque sorte.

Comblé!

 

Lors de l’assermentation, Philippe Couillard lui a confié une tâche qui le comble d’aise, celle de réfléchir à l’instauration du revenu minimum garanti, la spécialité de François Blais quand il était universitaire.

Une telle réforme ne peut se réaliser sans la participation d’Ottawa, qui verse déjà des transferts aux individus, notamment l’assurance- emploi, les prestations pour enfants et différents crédits d’impôt. Or ça tombe bien : le ministre fédéral de la Famille, des Enfants et du Développement social, Jean-Yves Duclos, un économiste de Québec, est un ancien collègue et ami de François Blais. Ensemble, ils ont signé une étude en 2005 sur un régime d’allocation universelle : ils concluaient que l’allocation universelle était « réaliste du point de vue budgétaire ». Jean-Yves Duclos a confirmé au Devoir qu’il s’intéressait à la réflexion entamée par François Blais.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres puisqu’une telle allocation universelle soulève des enjeux de compétences fédérales-provinciales, ne serait-ce que de déterminer lequel des deux ordres de gouvernement rédigera le chèque. Mais pour dire comme Jean-Paul L’Allier, si on veut voir la lumière, il faut bien pelleter quelques nuages.

L’économie

Le bilan économique de son gouvernement inquiète à ce point Philippe Couillard qu’il a sacrifié Robert Poëti, qui n’avait pas particulièrement démérité, pour jeter son dévolu sur Jacques Daoust comme ministre des Transports, mais aussi ministre de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports. Le banquier d’affaires, qui aura 68 ans dans deux semaines, est chargé par le premier ministre de développer la filière industrielle du véhicule électrique et suivra la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui doit réaliser le SLR (système léger sur rails) sur le nouveau pont Champlain ainsi que le train de l’Ouest. Le ministère servira à stimuler l’économie, particulièrement celle de Montréal, qui ne tourne pas rond.

Et, bien sûr, Philippe Couillard avait besoin de Jacques Daoust pour achever le financement de la CSeries de Bombardier, un problème qui n’a pas été refilé à la nouvelle ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Dominique Anglade.

Ex-conseillère chez McKinsey, une firme internationale de consultants de haut vol qui ne recrute que la crème, Dominique Anglade ne se prend pas pour une queue de cerise. Elle n’est pas là pour le Plan Nord, dont on sait maintenant ce qu’il a d’illusoire compte tenu des fluctuations en montagnes russes du prix des matières premières, mais bien pour propulser le Québec, et Montréal au premier chef, dans la « quatrième révolution industrielle », pour reprendre l’expression employée par Philippe Couillard lors de l’assermentation.

Avec Jacques Daoust, Dominique Anglade n’est pas la seule à se porter au chevet de l’économie montréalaise. Le ministre des Affaires municipales et ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, ex-professeur d’économie de HEC, remplace Robert Poëti comme ministre responsable de Montréal. Ce n’est pas innocent, soutient-on dans l’entourage du premier ministre.

Le développement

 

L’économie, c’est aussi l’affaire des régions. Et le gouvernement Couillard veut polir son image en matière de développement économique régional. Philippe Couillard a choisi Lise Thériault pour épauler Dominique Anglade, à titre de ministre responsable des Petites et Moyennes Entreprises, c’est-à-dire la coupeuse de rubans en chef, la livreuse de bonnes nouvelles en région. On croit que son bagout vernaculaire, bien que fortement est de Montréal, saura séduire de Val-d’Or à Gaspé.

Dans son allocution, Philippe Couillard a réitéré sa foi dans une économie « plus sobre en carbone ». Il a affirmé : « Une chose est de plus en plus claire : ce qui est bon pour l’environnement est bon pour l’économie. » C’est donc qu’il croit à l’importance du poste de ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Alors pourquoi y a-t-il reconduit David Heurtel ? se demandent les sceptiques.

Certes, David Heurtel a dû s’acheter un béluga pour faire oublier ses premières bévues sur les forages dans le port de Cacouna ; il fut malmené par le maire Denis Coderre dans le rocambolesque épisode du « flushgate ». Mais ce sont là des problèmes de communication que le ministre, en prenant de l’expérience, saura éviter, avance-t-on. Surtout, « c’est un ministre talentueux qui a livré » : il a développé la Bourse du carbone, convaincu l’Ontario d’y participer et bien préparé la COP21 à Paris pour le premier ministre.

Le réinvestissement en éducation et en santé qu’a fait miroiter Philippe Couillard et les baisses d’impôt promises dépendent de la bonne tenue de l’économie québécoise. L’équilibre budgétaire est atteint, mais « l’effet libéral » sur la croissance économique se fait toujours attendre, une faille que tant le Parti québécois que la Coalition avenir Québec entendent exploiter. Or, en matière de développement économique, beaucoup de temps sépare les louables intentions des « vraies affaires », c’est-à-dire la création de vrais bons emplois.

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