Le discours qui ne fut point

30 octobre 1995. Après l’écoute des résultats, Jacques Parizeau s’adresse aux militants du Oui au Palais des congrès de Montréal.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir 30 octobre 1995. Après l’écoute des résultats, Jacques Parizeau s’adresse aux militants du Oui au Palais des congrès de Montréal.

Infoman a surpris tout le monde, à son émission du 31 décembre, en dévoilant le discours de victoire enregistré par Jacques Parizeau avant le référendum de 1995. Mais le scoop n’en était pas tout à fait un. La vidéo avait été diffusée dès février 1996, quatre mois après le référendum remporté de justesse par le Non.

Tous les réseaux de télévision québécois et canadiens — et même CNN aux États-Unis et des chaînes télévisées en France — avaient reçu une cassette de ce discours livré en français et en anglais par Jacques Parizeau. Le premier ministre avait enregistré son allocution l’après-midi du 30 octobre 1995, à son bureau situé dans l’édifice d’Hydro-Québec, à Montréal.

Les télés s’étaient engagées à détruire la cassette en cas de victoire du Non — ce qu’elles ont fait. Lisette Lapointe, la femme de Jacques Parizeau, a retrouvé une cassette à la demande de Jean-René Dufort, qui en a diffusé des extraits durant sa revue de l’année Infoman 2015, le soir du 31 décembre. « Une décision simple et forte a été prise aujourd’hui. Le Québec deviendra souverain. Qu’on lui prépare une place à la table des nations. Et parce que le Québec est maintenant debout, il peut d’abord tendre la main à son voisin canadien en lui offrant un nouveau contrat, un nouveau partenariat, fondé sur le principe de l’égalité entre les peuples », lance l’ancien premier ministre — mort à 84 ans le 1er juin dernier — dans le message d’une quinzaine de minutes.

Jean-François Lisée se souvient de la petite histoire de ce grand discours. Il était à l’époque conseiller de Jacques Parizeau. C’est Lisée qui a écrit ce discours crucial, dans les jours précédant le jour fatidique du 30 octobre 1995. Il avait remis le discours à Parizeau au Ritz, le vendredi matin précédant le jour du référendum. Le chef du Oui n’avait pas changé une ligne, selon Jean-François Lisée.

« J’avais proposé à M. Parizeau, compte tenu de l’importance des messages à livrer, de ne pas faire une déclaration devant la foule de partisans. L’idée était de faire une “adresse à la nation” à la télévision. Il parlerait ensuite à la foule avec des mots plus courts, dans un style plus direct », raconte au Devoir le député du Parti québécois.

Le discours avait pour but de rassurer les Québécois, les Canadiens, les marchés financiers et les grandes capitales : le Québec avait fait un choix démocratique. Le Québec souverain allait demeurer un État de droit respectueux des anglophones, des minorités, des autochtones. Le nouveau pays garderait la monnaie canadienne, resterait attaché au libre-échange et n’érigerait aucun poste de douanes aux frontières avec le Canada.

« À 50 % des voix plus une, on partait. Il fallait démontrer une absolue sérénité de partir quelle que serait la marge de la victoire », dit Jean-François Lisée.

On connaît la suite : le discours de la victoire est resté sur une tablette. Le Non a gagné avec 50,58 % des voix. Dans un élan de colère, Jacques Parizeau s’est emporté contre « l’argent et des votes ethniques ». Ces mots hantent encore le mouvement souverainiste, 20 ans plus tard.

Le goût du pays

 

Le discours secret de la victoire n’est toutefois pas resté secret bien longtemps. Des représentants des réseaux de télé québécois avaient visionné la cassette, l’après-midi du 30 octobre, dans les studios de Télé-Québec. Benoit Aubin, alors directeur de l’information au réseau TVA, avait soutenu dans un livre que le discours enregistré divergeait des engagements publics du camp du Oui. Pour faire taire les critiques, Jacques Parizeau avait autorisé la diffusion du discours à la télévision, en février 1996, et avait remis le texte intégral aux journaux, rappelle Jean-François Lisée.

Lisette Lapointe se souvient de l’état d’esprit de son mari, lors de l’enregistrement du discours. « Il était calme malgré la fatigue et le stress. Il avait l’estomac noué, mais il était serein », dit l’ancienne députée péquiste, jointe à sa résidence secondaire de Collioure, dans les Pyrénées-Orientales, en France.

Elle ne se souvenait pas que la vidéo avait déjà été rendue publique. Mais quand Jean-René Dufort la lui a demandée, elle a accepté. Pour rendre hommage à son défunt mari. Et pour intéresser les jeunes à la question nationale. « J’espère que ça va donner le goût à des jeunes pleins de talent et d’énergie de se regrouper et de décider de le faire, le pays », dit Lisette Lapointe.

« Toutes les nations qui n’ont pas un État en veulent un, ajoute-t-elle. L’Écosse veut tenir un autre référendum et la Catalogne fait des efforts incessants malgré l’opposition du gouvernement espagnol. »

Le militant indépendantiste Jocelyn Desjardins avait lu le discours de Parizeau au cours d’un hommage à l’ancien premier ministre organisé dans les jours suivant sa mort, en juin dernier. L’ancien journaliste et député Pierre Duchesne, biographe de Parizeau, et les comédiennes Brigitte Poupart et Évelyne Rompré avaient aussi lu des extraits du discours.

« Il s’agit bien sûr d’un grand discours, mais ça nous installe dans une sorte de nostalgie. Ça cristallise le fait qu’on a eu une puissance [en tant qu’indépendantistes] et que nous ne sommes plus capables de la recomposer. Mais on est capables ! » dit-il.

Une nouvelle révolution tranquille

«Quel qu’ait été notre vote, nous voulons, nous pouvons lancer une nouvelle révolution tranquille. Nous voulons, nous pouvons nous retrousser les manches, bâtir un avenir meilleur. Et, tous, nous voudrons et nous pourrons, dans quelques années, dire à un de nos enfants ou de nos petits enfants : "Regarde, ce Québec renouvelé, plus responsable et plus juste, plus pacifique et plus prospère, j’ai contribué à le faire naître, j'en suis fier et je te le donne!"»

«Vous l'avez fait de manière exemplaire, par un processus démocratique, transparent, équitable et éclairé. Avec passion, oui, mais sans agressivité. Avec ferveur, oui, mais avec un esprit pacifique et fraternel qui reflète parfaitement le genre de société que nous avons et que nous voulons : une société vivante et foisonnante, fondée sur la civilité, la stabilité et l'État de droit. Une société où les idées fusent et s'entrechoquent, mais qui rejette la violence et l'esprit revanchard. Une société qui respecte les droits individuels et ceux des minorités.»

Extraits tirés du discours de victoire de Jacques Parizeau
«À 50 % des voix plus une, on partait. Il fallait démontrer une absolue sérénité de partir quelle que serait la marge de la victoire.»

Jean-François Lisée, ici en compagnie de Jacques Parizeau, en 1995

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir