Au Québec d’exister grâce à l’environnement


C’est Pierre Arcand, le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, qui doit s’arracher les cheveux. Le gaz naturel est « une source d’énergie de transition », un combustible fossile dont la consommation devra être considérablement réduite d’ici 2050, voire totalement remplacée, a déclaré Philippe Couillard à la COP21 à Paris. « On sous-estime la rapidité d’évolution des technologies », a-t-il dit, témoignant d’un penchant pour l’anticipation.
Cette prise de position — certains médias ont titré : « La fin du gaz en 2050 » — a fait sursauter Gaz Metro et, sans doute un de ses principaux actionnaires, la Caisse de dépôt et placement du Québec, tout comme Éric Tétrault, cet ancien conseiller politique de Jean Charest aujourd’hui président de Manufacturiers et Exportateurs du Québec.
Philippe Couillard ne veut pas qu’on lui parle du pétrole d’Anticosti. « Je suis tanné », a-t-il lancé à un journaliste. Ce n’est pas son projet, mais celui du gouvernement péquiste. Il n’a « aucun enthousiasme pour les hydrocarbures » qui n’ont pas d’avenir au Québec, a insisté le premier ministre.
Pierre Arcand a patiné énergiquement pour concilier ces déclarations avec les politiques gouvernementales qu’il défend comme ministre. Il a mis ces propos — « exagérés par les médias », selon lui — sur le compte de l’atmosphère qui règne à la COP21 et de la figure imposée qu’il y faut exécuter. Le premier ministre n’était pas là pour « faire la promotion des hydrocarbures », mais pour bien parler d’environnement, a plaidé le ministre. « Jugez nos actions depuis que nous sommes là. » N’écoutez pas ce qu’on dit, regardez ce qu’on fait.
Philippe Couillard a participé en août dernier à l’annonce d’un investissement de 800 millions de la société Stolt dans une usine de liquéfaction de gaz naturel à Bécancour, s’est plu à rappeler Pierre Arcand. D’ailleurs, la consommation de gaz naturel devrait augmenter d’ici 15 ans au Québec, selon une étude du secteur privé.
Il y a un mois à peine, Pierre Arcand, qui a promis de présenter un projet de loi sur les hydrocarbures ce printemps, déclarait que « le Québec aurait avantage à tirer profit de son potentiel en hydrocarbures » et qu’il n’était « pas impensable » d’exploiter les ressources d’Anticosti. Le ministre n’était évidemment pas devant un parterre d’écologistes, mais devant les membres de l’Association pétrolière et gazière du Québec.
Quand il est question d’exprimer ses positions, Philippe Couillard n’hésite pas parfois à marcher sur les pieds de ses ministres. On l’a encore vu il y a quelques semaines quand il a affirmé qu’il était possible d’accueillir 5750 réfugiés d’ici la fin de l’année alors que le même jour, son ministre Pierre Moreau soutenait dur comme fer que c’était irréaliste. Finalement, le Québec accueillera 3650 réfugiés en 2015.
Exemple à suivre
À Paris, Philippe Couillard avait un tout autre message à livrer que celui auquel s’accroche son ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles. Le Québec, avec son énergie propre et renouvelable, sa participation à une Bourse du carbone et son ambitieux objectif de réduire de 37,5 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030, est un exemple à suivre.
Philippe Couillard a profité au maximum du statut diplomatique particulier que la France accorde au Québec qui « en mène plus large à la COP21 que toutes les provinces canadiennes réunies, et même que les représentants canadiens », a rapporté le journaliste du Devoir Christian Rioux. Le premier ministre « provoque les mêmes attroupements qu’un chef d’État » : reçu à l’Élysée par le président François Hollande, accueillant dans les bureaux de la Francophonie Al Gore qui l’a encensé, signant une entente avec le gouverneur de la Californie, Jerry Brown, donnant un point de presse avec le président du gouvernement basque, Inigo Urkullu, et de la première ministre d’Écosse, Nicola Sturgeon. Reconnaissance suprême, le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurría, a déclaré que la seule Bourse du carbone qui fonctionne dans le monde, c’est celle qu’ont mise sur pied le Québec et la Californie.
Le gouvernement québécois est arrivé à la COP21 fort bien préparé, et de longue date. Philippe Couillard siège au Carbon Pricing Leadership Coalition, une initiative de la Banque mondiale, aux côtés de la chancelière allemande, Angela Merkel, de François Hollande, du président mexicain, Enrique Peña Nieto, et de Jerry Brown, entre autres. De plus, le premier ministre copréside l’Alliance des États fédérés et des régions du Climate Group. François Hollande s’est montré très heureux du travail du premier ministre québécois auprès des États fédérés, signale Christian Rioux.
Pour Philippe Couillard, le Québec doit assumer pleinement son rôle sur la scène internationale en matière d’environnement. C’est un « nouveau volet » des relations internationales du Québec, a-t-il dit. Pour l’ensemble des pays souverains comme pour les États fédérés, la lutte contre les changements climatiques constituera une dimension majeure des relations internationales au cours des prochaines années.
Les circonstances
À la COP21, le Québec a souvent pris la place du Canada, qui, avec la nouvelle ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, est arrivé mal préparé, le gouvernement Trudeau se présentant avec les objectifs de réduction des GES du gouvernement précédent. Et une sale réputation, il faut dire, que Justin Trudeau et sa ministre ont tenté de rétablir.
Dans l’entourage de Philippe Couillard, on souligne que ce « concours de circonstances » a permis au Québec d’avoir une visibilité inespérée.
Contrairement à son habitude, la diplomatie canadienne a laissé faire, ou presque. À l’ouverture de la COP21, Philippe Couillard devait s’adresser au troisième rang derrière le président de la Banque mondiale lors de la rencontre de la Carbon Pricing Leadership Coalition. Or Catherine McKenna est arrivée à l’improviste avec les premiers ministres de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique : elle s’est non seulement arrogé le droit de parole de Philippe Couillard, mais celui-ci a dû attendre que chacun de ses homologues y aille de son laïus avant de pouvoir prononcer son allocution. Le naturel est revenu au galop. Après tout, le Québec doit savoir tenir sa place.