Majorité et minorités visibles sont aux antipodes au Québec

L'attachement de la majorité et des minorités visibles envers le Canada est élevé dans les provinces de l'Ontario, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir L'attachement de la majorité et des minorités visibles envers le Canada est élevé dans les provinces de l'Ontario, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique.

Un profond clivage politique existe au Québec entre la majorité et les immigrants des minorités visibles, qui sont attachés au Canada plutôt qu’à l’État provincial, une divergence qui n’existe pas dans les autres provinces, selon une étude de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP).

Cela dépasse la simple opposition maintes fois constatée à la souveraineté : c’est toute la conception du Québec moderne comme État national autonome ainsi que sa place dans la fédération qui sont remises en question. « C’est exactement ça. Le résultat premier [de l’étude], c’est de documenter l’étendue et la profondeur de ce clivage », a livré au Devoir Antoine Bilodeau, professeur de science politique à l’Université Concordia, qui a signé avec Luc Turgeon, Stephen E. White et Aisla Henderson, une étude en anglais intitulée « Voir le même Canada ? Les vues des minorités visibles sur la fédération » (la traduction est de nous).

Les données de l’étude proviennent d’une vaste enquête d’opinion, appelée Projet sur la diversité provinciale, qui a sondé un peu moins de 10 000 Canadiens dont 1400 répondants dans chacune des provinces de Québec, de l’Ontario de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

Dans ces trois dernières provinces, l’attachement de la majorité et des minorités visibles envers le Canada est élevé (entre 8,2 et 8,9 sur une échelle de 10). Au Québec, il n’est que de 6 pour la majorité, mais grimpe à 7,6 chez les minorités visibles. Alors qu’au sein de la majorité, 52 % s’identifient au Québec avant tout, cette préférence chute à 16 % et à 22 %, selon que les minorités visibles sont de première ou de deuxième génération. Cette identification foncière de la majorité à la province est très faible en Ontario (3 %), un peu plus élevée en Alberta (11 %) et en Colombie-Britannique (9 %), et elle est à peu près semblable chez les minorités visibles. L’attachement à la province est relativement le même partout au sein de la majorité (entre 7,6 et 7,9 sur une échelle de 10). Or les minorités visibles manifestent le même attachement que la majorité dans toutes les provinces, sauf au Québec. « Il y a un déficit d’attachement au Québec dans les minorités visibles », constate Antoine Bilodeau.

Question de poids

 

Une partie du questionnaire portait sur les revendications ou les griefs provinciaux à l’endroit du gouvernement fédéral. Ainsi, les deux tiers de la majorité croient que le Québec n’a pas suffisamment de poids ; en Colombie-Britannique, ce pourcentage est de 67 %, ce qui témoigne du sentiment d’aliénation de l’Ouest face à Ottawa. Les membres des minorités visibles de première génération sont moins sensibles à ces griefs, mais ceux de la deuxième génération le sont davantage, sauf au Québec où ils sont encore nombreux à diverger de l’opinion de la majorité.

Plus des deux tiers de la majorité au Québec souhaitent que leur État ait plus de pouvoir, mais les minorités visibles s’y opposent : seulement 30 % de leurs membres, même de deuxième génération, sont d’accord.

En tout, majorité et minorités visibles divergent d’opinion au Québec dans 11 des 12 indicateurs évalués par le sondage. En Ontario, il n’y a qu’une divergence quand il s’agit de la deuxième génération d’immigrants et que deux, en Alberta et en Colombie-Britannique. « Les différences sont nombreuses dans le cas québécois et, surtout, elles se perpétuent dans la deuxième génération », a fait observer le politologue.

Sans surprise, l’étude montre que le multiculturalisme a la cote chez les minorités visibles. Or seulement le quart de la majorité au Québec croit que cette politique a un effet positif tandis qu’en Ontario, ce pourcentage est de 34 %.

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