Maïtée Labrecque-Saganash, au cri du père

Maïtée Labrecque-Saganash revendique haut et fort son identité autochtone. Fille du député néodémocrate Romeo Saganash, la jeune femme souhaite faire de la politique active pour les Cris. 
Photo: Renaud Philippe Le Devoir Maïtée Labrecque-Saganash revendique haut et fort son identité autochtone. Fille du député néodémocrate Romeo Saganash, la jeune femme souhaite faire de la politique active pour les Cris. 

Elle a l’air silencieuse, retranchée derrière des traits doux, mais elle parle avec abondance sitôt qu’on la lance. Jeune étudiante de la nation crie, Maïtée Labrecque-Saganash, 20 ans, revendique haut et fort son identité autochtone. Elle prêche pour qu’on revisite de toute urgence les rapports avec les Premières Nations et rêve d’une société plus juste, selon un modèle républicain, au nom d’un Québec indépendant.

« Je lis et j’entends partout des commentaires sur ces femmes de Val-d’Or. On dit qu’elles doivent se prendre en main, qu’elles sont saoules, intoxiquées, qu’elles n’ont quand même pas vécu les pensionnats, etc. Mais les gens ne se demandent pas pourquoi elles boivent, pourquoi elles en sont là, pourquoi des services qui apparaissent accessibles en principe pour elles ne le sont pas en vérité ! » Tout n’est pas si simple qu’il n’y paraît de loin, plaide-t-elle.

« Les stéréotypes reviennent souvent. » À Québec, où elle étudie, « les gens pensent que Wendake correspond à la réalité autochtone. Ils se disent : “Ce n’est pas si mal, les réserves !” Mais ce n’est pas ça du tout, une réserve ! » En général, on part donc de très loin au chapitre de l’éducation des mentalités. « Les gens ne mesurent pas. À Waswanipi, on vient de signer les premiers baux pour des refuges de femmes battues. Avant, elles devaient aller à Val-d’Or ou même en Ontario ! »

Son grand-père maternel travaillait pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. « Ma mère a été élevée sur une réserve. Mon grand-père venait porter la nourriture en avion. Il parle bien le cri. » Waswanipi lui manque. « J’aimais aller voir gohkum [grand-mère]. C’était ma récompense de la voir, après huit heures de route. Sentir le paysage qui change, les épinettes qui apparaissent, l’odeur du bois, de la forêt… Je m’ennuie de mes étés à la Baie-James. »

Les Cris célèbrent cette année le 40e anniversaire de la convention de la Baie-James. « Les Cris ont eu alors de bons représentants. Mais pour les autres nations, ce n’est pas pareil. »

Il y a quelque chose de pourri, pense-t-elle, dans la façon dont on continue d’envisager les problèmes autochtones. « Par exemple, dans le Nord, la nourriture coûte une fortune, mais on consacre une énergie démesurée à mettre des gens en prison, sans se soucier d’abord de les faire manger convenablement ! »

« On part de loin pour les autochtones. Même au Québec, qui est une province assez progressiste par rapport aux autres. » Au fond, pense Maïté Labrecque-Saganash, on est toujours dans le cadre d’un néocolonialisme qui s’ignore. « Si on continue d’avoir une attitude paternaliste, on n’avancera pas. Et pour avancer, il faudrait la volonté de tout le monde. »

Cette crise de Val-d’Or peut-elle permettre de faire avancer les choses ? « Au moins, un débat a été lancé. Mais à Val-d’Or, les Cris boycottent désormais les événements. Est-ce que c’est bien le seul poids politique qu’on peut avoir ? Annuler des événements sportifs pour les jeunes, alors que c’est souvent une des rares façons de les garder motivés à l’école ? Ne plus même aller à Val-d’Or ? Ce n’est pas en boycottant la ville et en s’isolant qu’on sera entendu. C’est ça qui m’a le plus déçue dans cette affaire. »

Une éducation

 

L’enjeu majeur aujourd’hui ? « Le système d’éducation. Pour les Québécois comme pour les autochtones. L’accessibilité est un problème. Je suis pour une société qui offre les mêmes chances à tous, peu importe d’où tu viens. Au Québec, on dévie de ça. On ne voit pas l’éducation comme un investissement. Comment peut-on s’écarter du principe de la gratuité ? Plus une société est éduquée, mieux c’est. Pour les autochtones, c’est pareil, bien qu’ils partent de plus loin. »

À la ville, à l’école, Maïtée Labrecque-Saganash a subi son lot de brimades. « Je me suis fait beaucoup écoeurer. Les autres enfants se moquaient de moi. De ma soeur aussi. Et mon frère s’est beaucoup fait brasser. On se moquait de mes sourcils, de mon teint… Les enfants répétaient ce qu’ils avaient entendu : “On les fait vivre, ils payent pas de taxe, etc.” Pour les taxes, comment se fait-il que les gens ne comprennent toujours pas que c’est vrai sur les réserves, mais qu’il n’y a rien à acheter sur les réserves ? En vérité, les autochtones payent beaucoup de taxes à la consommation. »

« Je me suis souvent fait dire que je n’étais plus une Crie parce que j’étais partie vivre à la ville pour étudier… Il doit y avoir des lieux pour que les autochtones puissent mener des études postsecondaires sans avoir à subir la pression sociale de quitter la réserve. »

La jeune femme essaye depuis un moment de se réapproprier la langue crie. « J’apprends quelques nouveaux mots tous les jours. C’est fascinant, les nuances. À Whapmagoostui [prononcer « Wapmastou »], plus au nord que mon village, plus près de la toundra, on ne parle pas de la forêt avec le même mot. On dira “mischtikuskash”, beaucoup d’arbres ; tandis que chez moi, ce sera “noumishi”, forêt, tout simplement. L’accent change aussi. »

Lettre au père

 

« J’étais avec mon père lors du dépôt du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation. Il a pleuré. Pour la première fois, je comprenais des choses sans qu’on ait besoin de se parler. Mon père a connu les pensionnats… »

Ce père, Romeo Saganash, est député du NPD. Lorsqu’elle a voté pour le Bloc québécois plutôt que pour le parti de son père, elle s’est fait apostropher publiquement. « J’ai dit et je répète que je ne suis pas “la fille de”. Je m’implique. Je suis indépendantiste. Lorsque mon père m’a vue me défendre, il a ri. On n’a jamais eu de confrontation là-dessus. »

Elle admire le sénateur du Vermont Bernie Sanders, candidat à la présidence américaine. « Il faut avoir du cran pour se déclarer socialiste aux États-Unis ! Un socialisme a aussi sa place chez nous. » Elle dit admirer par ailleurs Billy Diamond, René Lévesque et Lise Payette.

Ces jours-ci, en plus de la poésie d’Hélène Dorion, de Natacha Fontaine et de Jean-Noël Pondbriand, elle lit la Lettre au père de Franz Kafka. « Disons qu’avec la relation que j’ai eue avec mon père, ça m’a accrochée. » L’écrivain praguois y fait le constat des rapports difficiles avec son géniteur.

Dans dix ans, que sera devenue cette femme ? demande Renaud Philippe, le photographe du Devoir. Il suffit de le lui demander : « J’aimerais faire de la politique active pour les Cris. » Pour les convaincre de devenir indépendantistes eux aussi ? « On a encore peur des institutions dans les communautés. Il y a du népotisme encore, et tellement de choses à faire pour assurer la place des femmes. C’est un défi. »

Maïtée Labrecque-Saganash en cinq dates

1995 Naissance à Val-d’Or, à « la même date que Charles Aznavour ».

1995 Son père, Romeo Saganash, négocie pour le Grand Conseil des Cris à titre de directeur des relations Québec-Cris. Déménagement à Québec.

2011 Élection de Romeo Saganash comme député du NPD. Elle vit pour la dernière fois tous ses étés à la Baie-James.

2013 Commence à militer pour le Parti québécois. Appuie Alexandre Cloutier lors de la course à la chefferie.

2015 Assiste avec son père au dépôt du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada. Travaille à la rédaction d’un journal de communication dans tout Eeyou Istchee pour le Grand Conseil des Cris.


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