Les souverainistes reprennent la marche

Jacques Parizeau a parié sur l’échec de Meech pour mener le Québec au seuil de l’indépendance. Aujourd’hui, les indépendantistes prennent enfin le relais.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Jacques Parizeau a parié sur l’échec de Meech pour mener le Québec au seuil de l’indépendance. Aujourd’hui, les indépendantistes prennent enfin le relais.

Le résultat-choc du référendum du 30 octobre 1995 était vu par plusieurs comme un tremplin vers l’indépendance du Québec. « C’est retardé un peu », déclare Jacques Parizeau. « La prochaine fois pourrait venir plus rapidement qu’on le pense », poursuit Lucien Bouchard. Rien n’y fait, le projet de pays tombe en panne. M. Bouchard est parti en exil. M. Parizeau a passé l’arme à gauche.

Après avoir lutté contre la déprime, des acteurs clés du mouvement indépendantiste s’entendent pour donner un nouveau souffle au projet de pays du Québec, même si celui-ci est donné pour mort par Philippe Couillard et François Legault. Vingt ans après le « non » de 50,58 % des électeurs québécois, ils décrètent la mobilisation générale.

Le Parti québécois, Québec solidaire et Option nationale conviennent de la nécessité de ne pas attendre l’élection d’un gouvernement indépendantiste avant d’appeler en renforts des « Partenaires pour la souveraineté ».

La responsable de la convergence du mouvement indépendantiste au PQ, Véronique Hivon, veut rompre avec l’attentisme des « conditions gagnantes » et du « moment jugé approprié », et forcer le destin.

La présidente intérimaire des Organisations unies pour l’indépendance du Québec (OUI Québec), Claudette Carbonneau, s’en réjouit. « [À l’approche du référendum de 1995], on aurait dû avoir une machine un peu mieux rodée, y compris au niveau de la société civile », soutient l’ex-chef syndicale qui appelle à l’action.

Le député de Rosemont, Jean-François Lisée, voit d’un bon oeil la volonté d’amorcer les préparatifs de la campagne référendaire avant une éventuelle une victoire aux élections générales de 2018. Le camp du OUI peut difficilement, comme il y a 20 ans, escompter une crise constitutionnelle qui braquerait les Québécois contre le ROC (« Rest of Canada »). Le gouvernement Couillard, hanté par l’échec de l’accord du lac Meech, dit refuser net de participer, et encore moins de lancer, des discussions constitutionnelles perdues d’avance. « Toute la stratégie de M. Parizeau, c’était qu’il fallait que Meech soit un échec. Il était prêt, il avait la volonté, il avait posé les bases stratégiques. Mais, la préparation réelle a été faite une fois son arrivée au pouvoir », relate l’ancien membre de la garde rapprochée de M. Parizeau. « Son problème, c’est qu’il y a eu un décalage entre le moment de l’échec de Meech et le moment de l’élection de 1994. Pour des Québécois qui sont du bon monde, rester choqués pendant quatre ans c’est beaucoup leur demander. Alors il fallait les remobiliser », raconte M. Lisée.

« Il faut remobiliser. Même si le dernier référendum a eu lieu il y a 20 ans et que depuis ce temps-là on ne s’en est pas parlé tant que ça, entre 35 % et 40 % des Québécois nous disent : “On est prêts à y aller”. Il faut en convaincre au moins un 20 % de plus, affirme la solidaire Françoise David. Ça ne me décourage pas, au contraire. »

« Force » mixte 

Discrètement, la députée de Joliette s’est mise à la tâche de « rebâtir la confiance entre les différents éléments du mouvement souverainiste » en vue de voir émerger une « force » mixte de péquistes, de solidaires, d’onistes et de non-alignés d’ici le prochain rendez-vous électoral. « Plus on va commencer tôt, plus le moment venu d’une éventuelle consultation populaire, ce groupe-là va être habitué à travailler ensemble, va avoir des atomes crochus, et va connaître les complémentarités d’un et de l’autre. Donc, pour moi, c’est une force en perspective d’une prochaine consultation populaire, mais c’est aussi une force en soi pour redynamiser le mouvement indépendantiste dès maintenant », explique-t-elle dans un entretien avec Le Devoir.

Mme Hivon se dit parfaitement consciente de la réticence, voire du refus de la part de sympathisants indépendantistes de grossir les rangs du PQ pour une raison ou une autre. Le PQ dirigé par Pierre Karl Péladeau reconnaît qu’il « n’a pas le monopole de l’option souverainiste », insiste l’élue péquiste. Plus encore, la « diversité » d’acteurs politiques dans le mouvement souverainiste permettra de redonner du souffle au projet de pays, selon elle.

D’autre part, l’ex-ministre déléguée aux Services sociaux invite à ne pas sous-estimer le rôle à jouer par la société civile. « Elle est très, très, très importante pour attirer de nouvelles personnes, qui ne se reconnaissent pas dans les partis politiques [ou] qui ne se sentent pas à l’aise de militer dans le carcan d’un parti politique. Il faut prendre acte de ça », affirme-t-elle sans ambages. Mme Hivon appelle sans réserve les « orphelins politiques » souhaitant prendre part à la réflexion sur le projet de pays du Québec à sortir de l’ombre. « Allez-y, travaillez ! L’appétit vient en mangeant ! » lance-t-elle tout en pointant les organisations réunies sous le parapluie des OUI Québec : Nouveau Mouvement pour le Québec, Réseau Cap sur l’indépendance, etc.

Les partis politiques indépendantistes subissent à l’heure actuelle les contrecoups de la « grave » crise de confiance de la population québécoise à l’égard des institutions, indique Mme Carbonneau. « [Un parti politique doit] porter son bilan, ses politiques passées, particulièrement lorsqu’il a exercé le pouvoir [comme le PQ]. »

À cet égard, la « charte des valeurs péquistes » a terni le blason du parti — et par association celui du mouvement indépendantiste —, fait remarquer Mme David, plus d’un an et demi après la défaite électorale de l’équipe Marois. « [Le PQ] n’a pas su comprendre combien les débats sur cette charte apportaient une atmosphère de division absolument incroyable au Québec. Ç’a créé une brisure [entre le mouvement souverainiste et] un certain nombre de gens des communautés culturelles », mentionne-t-elle.

Le PQ et QS « ont perdu leur crédibilité » aux yeux des électeurs souverainistes puisqu’ils n’ont pas « de vrai engagement à faire l’indépendance à court terme », suggère le chef d’ON, Sol Zanetti.

Démonstrations d’unité

Les OUI Québec sont décidés à « aller vers des groupes que les partis politiques rejoignent moins », puis à « contribuer à la convergence de tous les indépendantistes », insiste Mme Carbonneau. En plus de donner le coup d’envoi d’une « vaste campagne de membership » afin d’avoir « plus de moyens », la coalition des OUI Québec organisera de nouvelles soirées thématiques — « femmes et indépendance », « austérité et indépendance »,par exemple — auxquelles « alignés » et « non-alignés » seront les bienvenus. « On veut regrouper les gens par affinités, un peu comme ce qu’on voit dans la société catalane. D’ailleurs, on entend intensifier la cadence de ce côté-là », dit la porte-parole des OUI Québec — anciennement le Conseil de la souveraineté du Québec.

D’ici aux prochaines élections générales, péquistes, solidaires et onistes promettent de multiplier les démonstrations d’unité, notamment en s’affichant côte à côte à des événements organisés par les OUI Québec, promet-on. « On pourra voir toute sorte d’événements, de rassemblements, d’activités, d’opérations auprès de la population qui peuvent être communs », spécifie Mme Hivon. « Est-ce qu’il peut arriver qu’il y ait certaines activités communes ? Oui ! Il faut que ça permette aussi d’exprimer nos divergences », poursuit Mme David.

Alliance possible 

Apparaissant nécessaires pour maximiser la probabilité de faire élire une majorité de députés indépendantistes au prochain scrutin, les scénarios d’« alliances » ou de « pactes de non-agression » entre le PQ, QS et ON se poseront inévitablement d’ici à la prochaine campagne électorale, explique-t-on à micro fermé. « Il y aura des questions à résoudre. [À l’approche des élections de 1994], tu avais un parti indépendantiste : le PQ. Aujourd’hui, tu en as trois, plus un grand nombre de non-alignés », note Mme Carbonneau. L’ex-numéro un de la CSN dit avoir pleinement « confiance en l’imagination du monde ». « Il y a eu des solutions très créatives de mises de l’avant en Catalogne, pas juste l’idée de la liste unique, mais l’idée de s’entendre sur une feuille de route », glisse-t-elle au passage.

« La plupart du temps, ce dont ils parlent, c’est de convergence électorale. À Québec solidaire, on n’en est pas là, rappelle la députée de Gouin, Françoise David. Ça n’empêche pas des gestes qui peuvent être posés en commun avec d’autres partis. »

D’ailleurs, des émissaires des trois principaux partis politiques indépendantistes ainsi que de la société civile partageront leurs commentaires sur les leçons à tirer des indépendantistes catalans, un an après avoir pris part à une « mission d’observation » de la consultation sur l’indépendance de la Catalogne. « C’est comme ça que l’on construit de la convergence », se réjouit Mme Carbonneau. « [Cependant, quand les partis politiques sont] laissés à eux-mêmes, ça peut créer des tensions ou des rivalités qui sont un peu inutiles, contre-productives dans la recherche du projet », conclut-elle.

Dépoussiérer le discours indépendantiste

Le mouvement indépendantiste s’est déjà attelé à la tâche d’« actualiser [son] discours », « rafraîchir [son] argumentaire » en tenant compte des « nouvelles sensibilités » de la société québécoise, indique Claudette Carbonneau de OUI Québec. Celle-ci a « beaucoup changé » au fil des 20 dernières années : « elle s’est diversifiée », « elle s’est mondialisée ». Les questions liées au transport de pétrole par oléoducs, trains et bateaux sont désormais au coeur des préoccupations des Québécois, illustre-t-elle. « Elles sont évidemment liées à la question nationale. On n’a pas de prises directes là-dessus. Les vrais pouvoirs sont au fédéral. »


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