L’austérité serait contre-productive en régions

Le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, est engagé dans une opération de réduction de la taille de l’État québécois.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, est engagé dans une opération de réduction de la taille de l’État québécois.

Le gouvernement du Québec fait-il fausse route en coupant dans la fonction publique de la Côte-Nord ou de la Gaspésie et en misant sur l’extraction du pétrole de l’île d’Anticosti ou sur un Plan Nord pour relancer l’économie des régions ? Oui, estiment les auteurs d’une étude sur l’économie régionale du Québec qui confirment que le secteur public, loin de n’être qu’une dépense improductive pour l’État, peut devenir un levier de développement économique bien plus efficace que ne l’est le secteur privé.

« Miser sur la fonction publique n’est pas un projet encouragé par les politiciens actuellement », résume au téléphone Bertrand Schepper, coauteur de cette étude orchestrée par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) avec le soutien financier du Syndicat québécois de la fonction publique (SFPQ). Le document va être dévoilé ce lundi. « L’ère est plutôt aux coupures dans ce secteur, ce qui, dans les régions ressources, peut devenir au final très contre-productif ».

 

Effets multiplicateurs

L’IRIS a passé au crible statistiques économiques et littérature économique sur le développement régional pour arriver à ses conclusions. Selon ce groupe de penseurs, la fonction publique déjoue les préjugés habituels à son endroit en s’affichant comme un acteur économique de premier plan, particulièrement dans les régions assujetties aux industries extractivistes. « Chaque million investi dans le secteur public crée 14,22 emplois contre 8,57 emplois dans le secteur primaire [celui des matières premières], écrivent les auteurs de ce rapport de recherche intitulé Le secteur public et l’économie régionale au Québec. Chaque dollar investi dans le secteur public rapporte à l’État deux fois plus de taxes et impôts qu’un dollar investi dans le secteur primaire [ressources naturelles] », dollar qui, en moyenne, a un effet à la hausse de 1,11 $ sur le produit intérieur brut (PIB) du Québec, contre 0,80 $ pour celui investi dans le secteur primaire.

« Tout ne doit pas être mis dans le secteur public », reconnaît Bertrand Schepper avec un « mais » : « Aujourd’hui, les politiques de développement du Québec reposent sur deux concepts, l’austérité et les coupes, tout comme dans l’aide au secteur privé dans les régions ressources. Or, le gouvernement devrait arrêter de sous-estimer l’investissement dans la fonction publique dans ses régions. Elle peut devenir une bougie d’allumage, mais également avoir un effet multiplicateur sur l’économie régionale bien plus important que peut l’être le secteur privé ».

Pour l’IRIS, cette stratégie de création d’emplois par le secteur public dans ces régions « permettrait de protéger davantage les économies [locales] contre les aléas des prix des matières premières ». Elle fournirait également, dans des régions qui en ont particulièrement besoin, des conditions d’emplois supérieures à celles offertes par le privé, emplois plus accessibles aux femmes et aux communautés culturelles. « Les politiques d’austérité nuisent à la mixité des agents économiques, particulièrement dans les régions ressources », poursuivent les auteurs du document d’une cinquantaine de pages.

« L’État a abdiqué son rôle d’investisseur dans l’économie et préfère soutenir les projets privés pour créer de l’emploi et développer les régions, dit M. Schepper. Les résultats ne sont pas à la hauteur. Il devrait reprendre ce rôle et passer à l’action en reconnaissant le caractère névralgique du secteur public dans l’économie régionale du Québec. »

Début juin, le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, s’est réjoui de l’abolition de 486 emplois « équivalent temps complet » dans les organismes publics entre le 1er janvier et le 31 mars 2015. Ces compressions dans la fonction publique sont présentées comme un moyen d’atteindre l’équilibre budgétaire et de relancer l’économie. Elles ont été accompagnées dans les derniers mois par l’abolition des Conférences régionales des élus (CRE), des Forums jeunesse régionaux (FJR) et des Centres locaux de développement (CLD), outils de développement économique régionaux dont la disparition a été décriée dans plusieurs régions du Québec.

Or, estime l’IRIS, « l’investissement public dans les services à la population reste une des manières les plus sûres et efficaces de générer de la richesse et des emplois dans toutes les régions du Québec, tout en réduisant l’amplitude des turbulences économiques en période de crise », écrivent les auteurs dans leur conclusion.

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