Les aveux de la Dame de fer

Monique Jérôme-Forget n’est pas du genre à avoir des regrets. Et pourtant. À 74 ans, elle croit qu’elle aurait dû se lancer en politique plus jeune et « viser le sommet » pour devenir première ministre. Mais elle n’a pas osé, car elle était une femme.
« J’ai adoré faire de la politique, alors j’aurais adoré être première ministre et gérer l’ensemble du gouvernement », lance Monique Jérôme-Forget, confortablement installée dans un large fauteuil jaune dans son appartement décoré de meubles et d’objets d’art issus des quatre coins de la planète. « Si j’avais été un homme, j’y aurais sûrement pensé. »
Son surnom était la Dame de fer. C’est elle qui tenait les cordons de la bourse — ou de la sacoche, selon l’image qu’elle aimait employer — du gouvernement Charest. Elle combinait les plus hautes fonctions, à la fois présidente du Conseil du trésor et ministre des Finances. Elle était considérée comme une femme forte, une femme que rien ne pouvait arrêter. Et pourtant, elle s’est elle-même limitée dans son choix de carrière, craignant, en tant que femme, de ne pas être à la hauteur.
« J’ai été approchée un grand nombre de fois pour faire de la politique, mais je refusais toujours, car je pensais que je n’étais pas prête, ce qui est un symptôme typiquement féminin.»,
Issue de la haute fonction publique, elle est arrivée en politique à l’âge de 58 ans. C’est Jean Charest qui a réussi à la convaincre de faire le saut. Aujourd’hui, avec le recul, elle regrette d’avoir tant tardé. « J’aurais dû aller plus tôt en politique. Si je l’avais fait, peut-être que j’aurais eu l’ambition de devenir première ministre. Et la raison pour laquelle je pousse les femmes à aller le plus loin possible, c’est que moi, je ne l’ai pas visé le numéro un. » Elle s’arrête un instant, le temps de bien saisir l’ampleur de ce qu’elle vient de dire. Et elle répète, avec une pointe de déception dans la voix : « Je n’ai pas visé le numéro un. »
Pauline
Lorsque l’occasion s’est présenté de se lancer à la course au leadership du Parti libéral en 2012, elle avait quitté la politique depuis plus de trois ans déjà et elle menait une vie qui lui plaisait, passant ses hivers dans sa maison de Merida au Mexique avec son mari, siégeant sur divers conseils d’administration et voyageant à travers le monde. Il n’était alors pas question de revenir. « Le train était passé. Il aurait fallu recommencer les rencontres dans les sous-sols d’église. Non, non », dit-elle en balayant l’air de sa main, comme pour chasser un mauvais souvenir.
Au même moment, Pauline Marois arrivait au pouvoir. Elle l’a appelé pour la féliciter. Elle lui a également envoyé un mot lorsqu’elle s’est fait battre, 18 mois plus tard. « Je savais qu’elle avait un appartement au Mexique. Je lui ai dit : “ne t’inquiète pas Pauline, le Mexique a de grandes vertus, j’en sais quelque chose”.»
Dans son autobiographie qui vient de paraître, Monique Jérôme-Forget ajoute sa voix à celles de nombreuses femmes qui ont dénoncé sur les réseaux sociaux une #AgressionNonDénoncée dans la foulée de l’affaire Jian Ghomeshi. Pour la première fois, elle parle publiquement de cet homme important qui s’est jeté sur elle, la tripotant et l’embrassant goulûment à la fin d’un entretien privé dans son bureau alors qu’elle était présidente de la CSST. Plus de 30 ans plus tard, elle grimace encore en évoquant cette scène. « C’était ma parole contre la sienne. C’était un illustre personnage. Et plusieurs personnes auraient préféré le croire, lui. » Bien qu’il soit aujourd’hui décédé, elle refuse toujours de le nommer, par respect pour ses enfants.
Manifestations et austérité
La relationniste qui s’occupe du livre de Monique Jérome-Forget arrive en retard. Elle évoque les manifestations au centre-ville. « Ah oui, les manifestants », lance l’ancienne ministre en soupirant, jetant un coup d’oeil par la fenêtre pour voir s’ils étaient en vue. « Ce matin, j’étais au conseil d’administration de la Banque du Canada. J’étais la seule du Québec. Tout le monde riait de moi, on me disait : “Monique, ta gang est encore dans la rue”. Est-ce que ça fait partie maintenant de notre couleur locale? Est-ce que ça va faire partie de nos gènes? Je ne sais pas. »
Sans grande surprise, Monique Jérôme-Forget est d’accord avec les politiques d’austérité du gouvernement Couillard. Mais elle n’aime pas le mot, préférant parler d’une « approche rationnelle ». Elle croit que le Québec n’a plus les moyens de se payer des programmes comme celui des garderies à 7$ et qu’il est temps de revoir le « généreux » programme d’assurance parental. Il faut aussi s’attaquer « aux vaches sacrées » telles que la santé, dont le rythme de croissance ne cesse d’augmenter. « Il faut poser des gestes, même en santé. Si on continue de même, on va avoir juste un gros hôpital et rien d’autre. »
Devant la réforme proposée par le ministre de la Santé Gaétan Barrette, elle ne peut s’empêcher de lui souhaiter bonne chance. « En santé, c’est plein de prima donna », lance-t-elle sans ménagement. « Il centralise beaucoup de décisions, et c’est tellement compliqué la santé, je n’aurais pas été dans cette direction. Mais je ne peux pas le critiquer, parce qu’il y a tellement de monde qui ont essayé, il est temps d’essayer autre chose. »
Monique Jérôme-Forget, qui doit son surnom de Dame de fer à l’ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher, estime que cette dernière « a sauvé » son pays par ses politiques. Mais « elle n’a pas su céder sa place, de sorte qu’elle s’est fait jeter dehors par son parti ». Elle concède que Jean Charest a lui aussi « raté sa sortie », bien qu’il l’ait fait « avec élégance », dans le contexte. « Moi, je suis trop fière pour me faire battre, mais lui, c’est un bagarreur, il est allé jusqu’au bout.»
Elle déplore que Jean Charest n’ait jamais réussi à se faire aimer comme Lucien Bouchard ou René Lévesque. « C’est difficile d’être chef libéral et de se faire aimer. »
Monique Jérôme-Forget en cinq dates
8 août 1940: Naissance à Montréal dans une famille modesteJuin 1977: Obtention d’un doctorat en psychologie de l’Université McGill
1991: Nommée présidente de l’Institut de recherche en politique publique
Novembre 1998: Élue députée libérale dans Marguerite-Bourgeoys
Avril 2009: Démission après l’adoption du budget