L’accès à l’avortement sera maintenu, dit Barrette
Répétant sur toutes les tribunes que « le projet de loi 20 n’aura pas d’impact sur l’accès aux avortements » et que « les cliniques de planning familial pourront continuer d’exister et d’opérer tel quel », le ministre Gaétan Barrette reconnaît néanmoins que des améliorations doivent être apportées au document de travail pour clarifier les points liés à l’avortement.
« Je comprends votre point et j’accepte la critique », a répondu le ministre Barrette à un journaliste qui lui demandait, à la sortie du Conseil des ministres mercredi après-midi, si le manque de précision du document avait porté flanc aux critiques.
Sa propre interprétation du projet de règlement a changé au fil de la journée mercredi. En matinée, le ministre Barrette affirmait que les avortements ne faisaient plus partie des activités médicales prioritaires (AMP), n’étaient plus nécessaires en raison du volume d’activité qui va augmenter avec le projet de loi 20. « Je peux bien les remettre si ça fait plaisir aux médecins de famille, ça ne fait aucune différence pour moi. »
Quelques heures plus tard, à la sortie du Conseil des ministres, il affirmait le contraire. « Je clarifie une chose pour laquelle je n’ai pas été clair ce matin […] les activités de planning familial sont incluses. » À savoir si cela est écrit quelque part, le ministre hésite : « Ben ce matin, non ce n’est pas écrit, oui c’est écrit, mais ce n’est pas écrit dans ce détail-là dans le document. Vous avez un point, vous avez raison, il y a des éléments qui mériteraient [d’être clarifiés], et on va le sortir [le règlement] le plus rapidement possible ».
Position claire
Pris dans une tourmente médiatique, le ministre a répété sur toutes les tribunes que le projet de loi n’aura aucun impact sur l’accès à l’avortement. « Il n’y aura pas, au Québec, de limitation d’accès à l’avortement de quelque manière que ce soit, ce n’est pas dans nos intentions et le projet de loi 20 ne fait pas ça. »
Le premier ministre Philippe Couillard a lui aussi été contraint de clarifier sa position. « Le gouvernement n’a aucune intention, directement ou indirectement, de restreindre l’accès libre et gratuit des femmes à l’interruption de grossesse. »
Gaétan Barrette refuse toutefois d’abolir les fameux quotas décriés par les groupes de femmes, et ce, malgré les demandes répétées de tous les partis d’opposition.
« Si la volonté du ministre de la Santé est de vraiment garantir l’accès aux avortements — pas le droit —, mais l’accès aux avortements, il doit simplement retirer la limite de 504 avortements imposés injustement aux médecins. Ceux qui veulent pratiquer à temps plein peuvent pouvoir le faire librement et sans contraintes, sinon le résultat va être une limitation de l’accès à l’avortement », a martelé le responsable de la santé pour la CAQ, François Paradis.
Hausse des quotas
Aux journalistes, le ministre de la Santé a confirmé l’existence de ces quotas. Mais il soutient que depuis cette version, qui datait du 18 mars, les quotas ont déjà été doublés, passant de 504 à 1008. Il explique cette hausse des quotas par le grand nombre d’appels qu’il a reçus de médecins qui disaient que leur pratique serait limitée avec un maximum de 504 interventions.
Selon lui, ces quotas n’auront pas d’effets sur la pratique régulière des médecins. Pour les autres, ceux qui travaillent sur une base permanente dans les cliniques de planification, ils pourront disposer d’exemptions pour continuer leur pratique sans être pénalisés. Mais ce seront des clauses de droits acquis, et les nouveaux venus devront se conformer aux quotas, et ce, dans le but de favoriser la « polyvalence » des jeunes médecins de famille et « éviter les niches » dans la pratique.
« Un jeune médecin qui souhaiterait éventuellement se consacrer à la pratique des interruptions de grossesse peut en pratiquer autant qu’il le souhaite et sera pleinement rémunéré pour chacune d’elles, mais aura des équivalences jusqu’à concurrence de 1008 patients », a précisé par courriel l’attachée de presse du ministre, Joanne Beauvais, qui estime que ça n’aura pas d’impact négatif sur la relève.
Malgré toutes les interventions du ministre, les femmes qui ont sonné l’alarme ne se sentent pas complètement rassurées. « On veut bien le croire, mais qu’il l’écrive noir sur blanc, réclame Anne-Marie Messier. Et de voir la façon tellement méprisante avec laquelle il a répondu à nos craintes, ça ne donne pas tellement envie de le croire sur parole. Le mépris ne mène nulle part. »
Le ministre a accusé Mme Messier d’être « une gestionnaire de clinique qui parle pour sa clinique », alors que son organisme a été de toutes les luttes pour le droit des femmes à l’avortement depuis 40 ans. Il a également accusé la trentaine de signataires de la lettre d’avoir « ameuté 50 % de la population » pour rien et de n’avoir pas lu le document au complet puisque celui-ci prévoit des exemptions.
Or, nulle part dans le document on ne spécifie que les médecins pratiquant des interruptions de grossesse volontaire (IVG) dans des cliniques de planification familiale peuvent se prévaloir d’exemptions, confirme Me Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé en santé.
« Les femmes avaient raison de craindre que ce projet de règlement limite les IVG, affirme-t-il en entrevue au Devoir. Le document est très ambigu et peut permettre différentes interprétations. Ce que dit le ministre aujourd’hui [mercredi] ne correspond pas du tout à ce qui est écrit dans ce document. »
Le ministre a refusé d’accorder une entrevue au Devoir, sous prétexte que nous n’avions pas fait de demande d’entrevue sur ce sujet avant la parution de l’article. Pourtant, deux demandes d’entrevue formelles ont été acheminées à son attaché de presse dans le courant de la journée mardi sur un autre sujet, et ce dernier n’a pas trouvé le temps de rappeler Le Devoir.