Québec renonce à couper
Les libéraux de Philippe Couillard font volte-face. L’élimination des subventions à la culture scientifique révélées par Le Devoir vendredi sera annulée, a annoncé le ministre Jacques Daoust dimanche soir. Les organismes de vulgarisation scientifique poussent un soupir de soulagement, après un week-end passé à tenter de trouver des manières de survivre.
Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations affirme qu’il ne « retient pas les orientations proposées par son ministère » en ce qui concerne l’appui aux organismes de soutien à la culture scientifique. Une formule employée récemment par certains de ses collègues afin d’infirmer des décisions impopulaires.
Cette « réorientation » du programme de soutien au fonctionnement aux organismes NovaScience avait été annoncée la semaine dernière, par téléphone, à la plupart des groupes en bénéficiant. D’autres ont appris la suppression de leurs subventions dans les pages du Devoir, samedi.
Le gouvernement libéral avait coupé les vivres aux Publications BLD, société éditrice du magazine jeunesse Les Débrouillards au motif que sa mission de vulgarisation scientifique auprès des jeunes ne « cadrait plus avec les priorités » du ministère, à l’instar de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), de l’Agence Science-Presse (ASP), de Science pour tous, et du Conseil de développement du loisir scientifique et de ses neuf composantes régionales. Certains songeaient jusqu’à dimanche à fermer boutique. Ils peuvent désormais respirer.
Au bureau du ministre Daoust, on affirmait la semaine dernière que le programme NovaScience dont émane ce budget d’un peu plus de 1 million de dollars était « maintenu », mais qu’on souhaitait « mieux l’utiliser et se tourner vers le développement de la culture d’innovation en entreprise ». « On veut favoriser l’embauche de jeunes diplômés », avait fait valoir l’attachée de presse du ministre, Mélissa Turgeon. Les fonds devaient aller à des organismes voués à l’entrepreneuriat plutôt qu’à la science, selon nos informations.
Le ton était tout autre dimanche soir. « Ce sont des décisions qui n’avaient pas été avalisées par le ministre, dit-elle. Les représentants des organisations avec qui le sous-ministre adjoint a communiqué seront rencontrésdans les prochains jours afin de revoir les scénarios de financement pour 2015-2016. »
Le ministre a décliné notre demande d’entrevue. « Malgré le contexte financier particulièrement difficile dans lequel le gouvernement évolue, nous tenons à préserver la mission de ces organisations qui travaillent dans le domaine de la culture scientifique et qui apportent une contribution importante au développement économique », a précisé M. Daoust par voie de communiqué.
Les scénarios de financement des organismes concernés doivent être revus « dans les prochains jours ».
Soulagement chez les organismes
Josée Nadia Drouin, directrice générale de l’ASP, dont le budget allait se voir réduit de 70 % avec l’arrêt d’une subvention de 123 000 $, s’est dite « contente » de la nouvelle, mais reste sur ses gardes. « On reste prudents parce que notre organisation mettait la clef sous la porte vendredi. On veut voir si le gouvernement reconduit la subvention comme elle l’était avant, et c’est à ce moment-là que nous verrons quel est notre avenir. »
Félix Maltais, éditeur des Publications BLD qui risquait de perdre sa subvention de 175 000 $, voit le changement de décision du gouvernement comme un engagement envers la science. « On est vraiment très satisfaits que le ministre ait écouté la population. Je crois qu’ils vont devoir non seulement maintenir le programme, mais même l’augmenter pour toutes les activités de vulgarisation scientifique avec la grande réaction que l’on a vue au sein de la population. »
Ce dernier prévoyait déjà des actions de contestation, qu’il laissera finalement tomber. La populaire grenouille Beppo, du magazine Les Débrouillards, pourra elle aussi laisser de côté l’affiche « S.O.S. » qu’elle tenait sur les réseaux sociaux depuis l’annonce de la réorientation budgétaire.
M. Maltais et Mme Drouin se disent prêts à discuter avec le ministère. « Nous voulons poursuivre notre dialogue avec le ministère pour nous assurer que cette décision soit valable pour plus d’un an », indique M. Maltais.
La porte-parole de l’opposition officielle en matière de culture et de communications, Véronique Hivon, juge pour sa part qu’il est « commode pour le ministre de se réfugier derrière [son] administration, son sous-ministre » pour en arriver à ce recul. « Mais personne n’est dupe, que ce soit dans les Conservatoires de musique, avec la ministre [David] qui a utilisé cette même [formulation], ou dans les organismes scientifiques, avec M. Daoust. Les hauts fonctionnaires ne font pas de telles annonces sans que les ministres soient au courant. Ça ne tient tout simplement pas la route. » Elle salue la population qui s’est mobilisée pour faire infirmer ces décisions. Une pétition lancée vendredi avait déjà recueilli plus de 3700 signatures, deux jours plus tard.