Moreau se met à dos le monde municipal

Le monde municipal est en furie contre le ministre Pierre Moreau qui a brandi la menace, mercredi, de pénaliser toute municipalité motivant une hausse de ses taxes foncières par la saignée de 300 millions dans le Pacte fiscal.

« Il s’agit pour nous d’une ingérence sans précédent », s’est insurgée la présidente de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) et mairesse de Sainte-Julie, Suzanne Roy. « De voir un ministre menacer comme ça le monde municipal — je suis quand même élue depuis 18 ans —je n’ai jamais vu ça. Je trouve ça inconcevable. »

L’UMQ réclame de rencontrer rapidement le premier ministre, Philippe Couillard, a indiqué sa présidente, qui a déploré le manque de respect du ministre envers le monde municipal.

C’est au sortir du Conseil des ministres que Pierre Moreau a mis le feu aux poudres. Dans un point de presse, le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire a menacé de sévir contre Laval et Longueuil, qui ont justifié une partie de la dernière hausse de leurs taxes foncières par la diminution des transferts aux municipalités décrétée par le gouvernement Couillard dans le pacte fiscal provisoire signé cet automne.

Si les deux municipalités, ou toute autre ville qui choisirait de les imiter, refusent de réduire leurs avis d’imposition, Québec remboursera directement les contribuables et réduira d’autant ses transferts, à quoi s’ajoutent les frais d’administration de cette opération inédite.

« Si on veut faire de la politique là-dessus, on va en faire ensemble », a tonné Pierre Moreau qui a accusé la mairesse de Longueuil, Caroline Saint-Hilaire, et le maire de Laval, Marc Demers, de « prendre les gens pour des crétins ».

Marc Demers a annoncé, lundi, que les Lavallois subiront une hausse de leurs taxes foncières de 3,2 %, dont près du tiers, ou 1,2 %, est imputable à la diminution de 10,7 millions des transferts imposée par Québec pour redresser les finances publiques. La mairesse de Longueuil, Caroline Saint-Hilaire, a fait de même, avec une augmentation moyenne de 3,9 %, ce qui comprend une récupération de 3,4 millions des 5,5 millions retranchés des transferts.

Caroline St-Hilaire réagira jeudi à la menace du ministre. Mercredi, elle assistait aux funérailles de Jean Béliveau à Montréal. « Je ne commente pas la sortie du ministre Moreau aujourd’hui [mercredi] ; on porte en terre un vrai gentleman », a-t-elle écrit sur Twitter.

Étonnement

 

Suzanne Roy, tout comme l’ensemble du comité exécutif de l’UMQ qui était en réunion au moment où Pierre Moreau a lancé sa bombe, s’étonne qu’on puisse interdire aux municipalités d’expliquer quels facteurs ont contribué à une augmentation de taxes lorsqu’elles dévoilent leur budget. « Il y a vraiment une censure. On se croirait revenir à une autre époque », juge-t-elle.

De fait, à la suite de la décision annoncée par le ministre, les administrations municipales peuvent hausser les taxes foncières comme bon leur semble seulement si elles ne justifient pas une partie de l’augmentation par la diminution des transferts du pacte fiscal. Toute municipalité qui imiterait Laval ou Longueuil subirait la même mesure, a certifié le ministre.

Selon Suzanne Roy, la réduction des transferts aux municipalités a des conséquences que les citoyens sont en droit de connaître. « C’est drôle, on nous envoie des compressions de 300 millions et ça n’aurait pas d’impact ; on est tellement bons gestionnaires, a-t-elle ironisé. Les citoyens ne sont pas dupes : ils en ont entendu parler, des 300 millions. Ce n’est pas une surprise [pour eux] quand les maires leur en parlent. »

Pour Pierre Moreau, il est « tout à fait irrationnel et injustifiable » de faire porter sur le nouveau pacte fiscal une augmentation des taxes foncières. « L’effort que nous avons demandé a été mesuré précisément pour nous assurer qu’il n’y a pas de répercussion sur les contribuables, et il n’y en aura pas », a-t-il affirmé.

Ce geste d’autorité de la part du gouvernement Couillard survient après que le premier ministre, dans son discours d’ouverture de la session au mai, s’est engagé à ne plus traiter les municipalités comme des « créatures » du gouvernement du Québec, mais comme un ordre de gouvernement qui assume ses responsabilités propres. « Cette gouvernance de proximité avec plus de pouvoirs, ça veut dire plus d’autonomie », a fait valoir le président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), Richard Lehoux. « Chaque municipalité a ses choix à faire ; ils ne seront pas faciles. »

Québec doit laisser les élus municipaux faire leurs choix budgétaires puisqu’ils sont imputables devant leurs citoyens, a-t-il plaidé. « Arrêtons de [nous] tirer de la bouette au visage de part et d’autre. »

« Une espèce de dérapage »

Pierre Prévost, chargé de cours au Département de science politique de l’UQAM, est étonné par la sortie intempestive du ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau. « C’est absolument incroyable qu’en 2014, bientôt en 2015, un ministre engueule son réseau de cette façon. Ça n’a aucun sens. On se croirait au XIXe siècle », a-t-il dit au Devoir. « Le ton du ministre n’est pas banal. Ça me semble une espèce de dérapage. Je ne sais pas comment il va réussir à rapailler ses relations avec le monde municipal », a-t-il ajouté. Les villes sont une créature du gouvernement du Québec, mais les élus municipaux ont toute la légitimité pour répondre de leurs décisions auprès de leurs électeurs, rappelle le chargé de cours, qui enseigne la vie politique municipale. Le discours du ministre paraît d’autant plus bizarre que le chef libéral, Philippe Couillard, s’était engagé à traiter les villes comme des « partenaires », durant la dernière campagne électorale, souligne Pierre Prévost.


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