Le FFM joue le tout pour le tout

Déboires financiers, perte de subventions, désistement de commanditaire… Pour freiner la débandade, le conseil d’administration du Festival des films du monde de Montréal (FFM) va hypothéquer le cinéma Impérial et peut-être même le vendre, en vue d’éponger sa dette de deux millions et demi de dollars, a appris Le Devoir. Un coup de barre jugé nécessaire pour sauver ce grand rassemblement cinématographique qui dure depuis 38 ans.
« On a pris cette décision d’hypothéquer le cinéma pour rassurer les organismes subventionnaires qui craignent que le président, Serge Losique, ne se serve de l’argent des subventions pour se rembourser », explique Michel Nadeau, l’un des administrateurs du conseil d’administration du FFM. En 2005, le président du FFM, Serge Losique, avait dû hypothéquer ses biens personnels pour prêter un million de dollars au FFM lorsque le gouvernement du Québec lui avait coupé les vivres. Même si le FFM a pu récupérer une partie de ses subventions, il a quand même dû emprunter un autre million de dollars à la SODEC en 2010. Et, ces dernières années, une dette d’un demi-million de dollars a été contractée dans le cadre de ses activités.
Face à cette situation financière précaire, le CA du FFM a constaté qu’il était urgent de régler ce problème pour assurer la survie du festival. « On s’est aperçu que l’Impérial n’était pas un actif stratégique pour le FFM. C’est une grandeur de salle qui ne convient pas. C’est trop grand pour les projections et pas assez grand lors des grandes premières », affirme M. Nadeau. Construit en 1913, l’Impérial est l’un des derniers cinémas montréalais à avoir conservé son cachet d’antan avec ses rosettes au plafond. Selon l’évaluation de la Ville de Montréal, le bâtiment vaut environ huit millions de dollars. « En l’hypothéquant, on va donc pouvoir payer la SODEC et on s’est entendu avec M. Losique pour le rembourser sur une période de 10 ans à partir du jour où il va quitter », précise M. Nadeau.
À un mois et demi de l’ouverture du festival, le président du FFM, Serge Losique, est satisfait du plan de relance proposé pour le moment. Il espère que les discussions vont reprendre pour obtenir les subventions des principaux bailleurs de fonds. « J’espère que le bon sens va triompher pour ne pas se ridiculiser en face du monde. Il y a des gens raisonnables, pas seulement deux ou trois personnes qui sont liées contre le FFM », lance-t-il.
En juin dernier, la directrice générale du FFM, Danièle Cauchard, avait indiqué au Devoir que la SODEC n’avait pas l’intention de lui octroyer la subvention prévue d’environ 230 000 $. D’autres sources nous avaient aussi signalé que les deux autres principaux bailleurs de fonds ne financeraient pas l’événement comme prévu. Téléfilm Canada alloue habituellement des subventions de quelque 300 000 $ et la Ville, près de 150 000 $. La responsable de la culture à la Ville de Montréal, Manon Gauthier, nous a d’ailleurs confirmé par la suite que la décision avait été prise « de ne pas financer le festival cette année ». « Notre investissement était à risque. On avait demandé, après de nombreuses discussions, un plan de redressement ; des conditions qui n’ont pas été honorées », avait-elle mentionné. La semaine dernière, Air Canada a également annoncé qu’il retirait sa commandite du FFM.
Changement de garde en vue
Le CA du FFM appelle maintenant la SODEC, Téléfilm Canada et la Ville de Montréal à revenir sur leur décision pour assurer la tenue de la 38e édition du festival, qui sera dédiée cette année au grand écrivain disparu Gabriel García Márquez. Michel Nadeau tient à dire que le CA verra à la pérennité du festival au cours des prochaines années, de même qu’à la relève à la tête du FFM. Mme Cauchard a déjà annoncé qu’elle tirerait sa révérence après la tenue de l’événement. Quant à M. Losique, il prépare aussi sa sortie, mais il tient avant tout à s’assurer que le FFM gardera son aura.
Reconnu pour son acharnement, voire son obstination, cet homme, pour qui le cinéma a été toute sa vie, peine à lâcher prise. « Un jour, je céderai ma place comme Gilles Jacob, mon collègue de Cannes, qui vient de démissionner », mentionne M. Losique en évitant d’annoncer sa retraite. Le président fondateur tient à rester dans le giron du FFM lorsqu’il n’occupera plus les fonctions de président. Il aimerait œuvrer auprès de la relève cinématographique.
« On est déjà en train de préparer l’après-Losique », reconnaît M. Nadeau, qui confirme que l’actuel président fondateur du FFM pourrait conserver un titre honorifique. Le CA veut aussi revoir avec lui la mission du festival pour qu’il demeure une référence à l’échelle internationale. « Qu’est-ce qu’on fait avec le festival ? Est-ce qu’on le singularise, est-ce qu’on en fait un festival de niche, comment on le différencie de Toronto, qui est le grand festival de cinéma américain ? C’est ce qu’on doit se poser comme question », note M. Nadeau. Mais, avant tout, M. Losique tient à terminer sa programmation du festival. Qu’il obtienne ou non les subventions au cours des prochaines semaines, personne ne l’empêchera de monter sur scène avec sa célèbre casquette pour lancer les festivités du FFM, le 21 août prochain. « Le Festival, on va le faire, point », déclare-t-il en démontrant encore une fois sa ténacité dans l’adversité.