Cafouillage autour des tableaux blancs dans les écoles

Des irrégularités ont entaché la mise en place des tableaux blancs interactifs (TBI) dans les écoles primaires et secondaires du Québec par le gouvernement Charest, révèle un rapport interne du ministère de l’Éducation.
Tableaux payés plus cher que leur valeur estimée, faible concurrence entre soumissionnaires, absence de reddition de comptes sur l’efficacité des tableaux interactifs : ce programme de 240 millions de dollars a donné lieu à des lacunes administratives. Ce verdict fait partie d’une étude confidentielle menée par la firme Raymond Chabot Grant Thornton, datée de novembre 2013, et dont Le Devoir a obtenu de larges extraits.
Ce rapport soulève des questions sur la mise en vigueur du programme par l’ancien gouvernement libéral de Jean Charest, en 2011. Le premier ministre avait créé toute une surprise en annonçant l’achat de 40 000 tableaux électroniques pour toutes les écoles publiques du Québec, sur une période de cinq ans, d’ici 2016.
Efficacité à démontrer
Ces tableaux blancs, branchés sur Internet, ont été présentés comme une petite révolution qui ferait entrer les salles de classe dans le XXIe siècle. Mais l’efficacité des TBI reste à démontrer. Dans les faits, un simple iPad, trois à quatre fois moins cher qu’un tableau interactif, semble plus adapté au goût du jour.
Devant les questionnements des commissions scolaires et des syndicats d’enseignants, le gouvernement Marois avait gelé l’achat de tableaux blancs interactifs dans les semaines suivant sa prise du pouvoir, à l’automne 2012. L’ex-ministre de l’Éducation, Marie Malavoy, attendait les conclusions de cette vérification interne pour décider du sort du programme. Mais elle n’a été informée de l’existence du rapport que le 19 février dernier, dans les jours précédant le déclenchement de la campagne électorale, selon nos informations.
Le nouveau ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, n’a pas décidé de l’avenir du programme, indique-t-on à son cabinet. La vérification interne commandée par son ministère risque cependant d’alimenter sa réflexion.
Le rapport de Raymond Chabot Grant Thornton souligne la faible concurrence due à la présence de seulement deux soumissionnaires, dont Smart Technologies, qui a remporté le contrat. Cette société albertaine était représentée par Martin Daraîche, un lobbyiste du cabinet de relations publiques National qui avait été conseiller politique de la ministre Nathalie Normandeau et du premier ministre Jean Charest.
Les tableaux ont coûté 2800 $ chacun à l’État québécois, une somme supérieure à leur valeur estimée, note le rapport. L’étude souligne de plus des lacunes dans la planification du projet, entre autres à cause des coûts de formation du personnel, puis d’entretien et de mise à jour des équipements. Le ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport a aussi omis de demander des comptes sur l’efficacité des tableaux interactifs dans les classes et sur leur appropriation par les enseignants.
Accueil partagé dans les classes
Ces tableaux interactifs ont pourtant reçu un accueil « inégal » dans les écoles, note Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, affiliée à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ). « Il y a eu des milieux où ça a été très apprécié et d’autres où ça a été un échec », dit la représentante des enseignants, en entrevue au Devoir.
Dans certaines écoles, les tableaux sont restés dans une boîte, faute de personnel pour former les enseignants ou apprendre le fonctionnement des tableaux interactifs. D’autres enseignants auraient préféré recourir à des technologies différentes, comme un iPad, pour former leurs élèves.
« On est tous favorables à l’utilisation des technologies dans les classes, mais les solutions mur à mur, comme celle imposée par le gouvernement, ne sont pas les solutions idéales,dit Josée Scalabrini. Il faudrait partir du besoin des enseignants. On est prêts à aider [le ministère] à consulter nos membres. Mais l’annonce de la création des tableaux interactifs avait pris tout le monde par surprise. Ça n’avait pas été préparé. »
À la Fédération des commissions scolaires du Québec (FCSQ), on rappelle aussi que le programme « sortait de nulle part ». Personne n’avait réclamé ces tableaux électroniques dans le réseau de l’éducation. Les tableaux créent une nouvelle pression sur les commissions scolaires — qui se font demander de fournir du personnel de soutien pour les tableaux interactifs — au moment où le gouvernement se prépare à leur imposer des compressions budgétaires, note une source au sein de la Fédération.
Comme dans « l’ancien temps »
Le manque de personnel technique pour appuyer les enseignants nuit à la mission pédagogique des TBI, selon les résultats préliminaires d’une étude menée par des chercheurs de l’Université de Montréal. Les enseignants manquent de temps pour apprendre le fonctionnement de ces appareils. Les tableaux connaissent aussi des problèmes techniques, note Thierry Karsenti, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l’information et de la communication en éducation, dans son étude dont Le Devoir a fait état en novembre 2013.
Il a interrogé 800 enseignants et plus de 10 000 élèves du primaire et du secondaire, partout au Québec. Et 86 % des enseignants ont trouvé des désavantages au tableau blanc interactif. Les élèves ne sont pas plus convaincus : un d’entre eux a décrit le TBI comme un appareil de « l’ancien temps ».