Le plan de match

Philippe Couillard s’est empressé de préparer les esprits aux réformes qu’il veut faire.
Photo: La Presse canadienne (photo) Jacques Boissinot Philippe Couillard s’est empressé de préparer les esprits aux réformes qu’il veut faire.

Québec — Jean Charest s’y était essayé en arrivant au pouvoir en 2003. Ça s’appelait la réingénierie, un concept fumeux de sous-traitance emprunté au secteur privé. Onze ans plus tard, Philippe Couillard entend réussir là où son prédécesseur a échoué : réformer en profondeur les finances publiques du Québec. Même s’il n’en a guère parlé en campagne électorale et même si l’exercice ressemble étrangement au « saccage » que la Coalition avenir Québec, selon ses dires, promettait.

C’est un grand classique. Le parti nouvellement élu découvre un trou dans les finances publiques qui le pousse à revoir ses plans et à imposer des coupes imprévues. Un trou que des experts indépendants, après avoir épluché les données financières du gouvernement, ont commodément révélé au lendemain de l’élection.

 

En 2003, c’était l’ancien vérificateur général du Québec Guy Breton qui s’était chargé de la besogne à la demande de Jean Charest. Il avait découvert un trou de 4,3 milliards, ce qui n’avait pas, malgré tout, empêché le ministre des Finances à l’époque, Yves Séguin, de signer un budget sans l’ombre d’un déficit.

 

Cette fois-ci, Philippe Couillard a fait appel au fiscaliste Luc Godbout et à l’économiste Claude Montmarquette, deux experts dont les thèses sont bien connues. Le premier milite pour une réforme de la fiscalité depuis des années et a lancé maints avertissements relatifs aux effets délétères du vieillissement de la population sur l’état des finances publiques du Québec. L’autre expert, c’est Monsieur Tarification, qui a signé avec Joseph Facal un rapport en 2008 qui préconisait, notamment, une hausse draconienne des tarifs d’électricité et des droits de scolarité. Tant Montmarquette que Facal avaient signé le manifeste des lucides.

 

Quand, pour pondre un rapport, on choisit les experts dont on connaît les idées, on n’est guère surpris par leurs conclusions. Que Philippe Couillard épouse leurs vues, c’est peu dire. Il s’est empressé de brandir ce rapport, question de préparer les esprits à la réforme qu’il a esquissée jeudi.

 

En 2003, Jean Charest s’était servi du rapport Breton pour barbouiller le gouvernement péquiste, dont il s’apprêtait à démanteler les institutions de capital de risque, au premier chef la Société générale de financement que dirigeait un certain Claude Blanchet.

 

Aujourd’hui, Philippe Couillard fait les choses avec plus d’élégance, se refusant au traditionnel « déchirage de chemise » sur le dos du précédent gouvernement. Mais le procédé est semblable.

 

La croissance

 

C’est une opération de conditionnement de l’opinion publique, experts à l’appui, que mène le premier ministre. Non pas que les constats que font Godbout et Montmarquette soient erronés. La plupart des économistes sérieux au Québec font les mêmes. La croissance économique au Québec sera faible en raison du contexte démographique et les revenus de l’État seront à l’avenant. Les Québécois qui prennent leur retraite sont maintenant plus nombreux que ceux qui font leur entrée sur le marché du travail. « Ce sont des changements structurels qui dépassent les changements de gouvernement », a reconnu jeudi Philippe Couillard.

 

L’ancien ministre des Finances, Nicolas Marceau, avait admis du bout des lèvres que le déficit du Québec était structurel. Mais la stratégie du gouvernement Marois, axée sur le seul contrôle des dépenses, se limitait à miser sur un retour de la croissance, sur une providentielle embellie. Sur cette question, Pauline Marois était d’une autre époque, une époque de croissance démographique.

 

En soi, le déficit du Québec n’est pas catastrophique. L’Ontario est aux prises avec un déficit beaucoup plus important. À la différence de l’Ontario toutefois, la charge fiscale que supporte les contribuables québécois est élévée, dans un contexte nord-américain. « Il nous reste très peu de tampon, de marge de manoeuvre par rapport à d’autres économies nord-américaines », a résumé Philippe Couillard.

 

Il faut aussi souligner que le Québec, en raison justement du déclin démographique, cherche à diminuer sa dette publique ; il s’agit non seulement de ne pas alourdir la dette, mais de réduire son poids relatif. De fait, si le gouvernement Couillard parvenait, dans son budget de l’an prochain, à afficher un déficit de 1,75 milliard, comme il s’y est engagé, le Québec serait en équilibre budgétaire puisque le Fonds des générations reçoit environ la même somme.

 

En 2003, Jean Charest avait adopté une démarche teintée d’idéologie avec cette réingénierie, un buzz word des années 90 qui était d’ailleurs délaissé dans le secteur privé au moment où le gouvernement libéral l’adoptait. L’État québécois s’est délesté de son expertise en informatique et au ministère des Transports avec les résultats que l’on sait. La croissance des dépenses de l’État n’a pas vraiment ralenti et les coûts de la corruption et de la collusion ont fait gonfler la dette publique.

 

Pragmatisme

 

Cette réingénierie avortée n’avait d’ailleurs pas manqué de soulever une levée de boucliers de la part des centrales syndicales, et plus généralement de ce qu’on appelle la société civile. « On n’a pas voté pour ça », clamait le slogan. Le gouvernement Charest, dont l’impopularité avait bondi, n’avait pas réussi à vendre son plan.

 

L’approche de Philippe Couillard est plus pragmatique. Une révision de la fiscalité peut donner quelques points de pourcentage de plus à la croissance : moins d’impôt sur le revenu des particuliers et des entreprises et une taxe de vente plus élevée, proposent Godbout et Montmarquette, comme bien d’autres. On ne peut non plus avoir d’objection de principe à la révision permanente des programmes que mettra en place le gouvernement Couillard.

 

C’est quand tomberont les recommandations de cette nouvelle Commission de révision permanente des programmes que les choses vont se corser, quand la liste des programmes à abolir ou à limiter sera dévoilée. « On n’a pas besoin au Québec d’avoir toujours le programme le plus luxueux », a déclaré le premier ministre. Et Dieu sait que le Québec en possède, des programmes luxueux, selon des critères canadiens : garderies, assurance parentale, indemnisation des victimes d’actes criminels, services fournis par l’économie sociale, etc. Sans parler qu’historiquement, l’État québécois a des prétentions nationales que les autres provinces n’ont pas.

 

Et c’est vrai que les électeurs n’ont pas vraiment voté pour ça. Sauf ceux qui ont opté pour la Coalition avenir Québec. Or ce n’est pas la première fois qu’un parti vole les idées à une autre formation politique. La vitesse à laquelle cette conversion s’est faite peut laisser songeur. Mais il faut plutôt croire que Philippe Couillard ne fait que suivre son plan de match.

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