D’une génération à l’autre

Au lendemain de la déconfiture du gouvernement de Pauline Marois, le pessimisme de certains souverainistes quant à l’avenir du mouvement a eu l’heur de déplaire à une nouvelle génération qui n’y voit qu’un fond de bile noire chauffée à blanc. Pour Gabriel Nadeau-Dubois comme pour d’autres, l’idée d’indépendance n’est pas morte. C’est une génération qui l’est.
« Je ne pense pas du tout que le projet de faire l’indépendance du Québec soit mort, estime Myriam D’Arcy. Sauf qu’on ne parle pas d’indépendance ! On a arrêté d’en parler depuis 1995. Cela a donné lieu à de l’improvisation de la part du PQ lors de la dernière campagne électorale. »
Blogueuse, militante indépendantiste, Myriam D’Arcy, 32 ans, s’est fait connaître notamment pour son engagement en faveur de l’enseignement de l’histoire nationale. « Ceux qui sont nés dans les années 1990 n’ont pratiquement jamais entendu parler d’indépendance. Il faut faire de la pédagogie. Peut-être qu’il y en a qui sont fatigués de se battre. Mais ce n’est pas terminé. Loin de là. »
Ceux qui s’imaginent que l’indépendance est morte parce que leur façon de l’envisager s’est vue enterrer lors d’un scrutin sont les véritables perdants de cette élection, estiment tout comme elle plusieurs jeunes indépendantistes.
« J’ai été offusqué, dit Gabriel Nadeau- Dubois, 24 ans, de voir quelqu’un de respectable comme Louise Beaudoin affirmer, au lendemain de cette élection, que les jeunes étaient fermés sur eux-mêmes. Reporter un échec électoral sur le dos de la jeunesse alors que c’est son parti qui se rallie autour de thèmes qui ne la fédère pas me semble insensé. C’est d’ailleurs assez particulier de dire une chose pareille après qu’on eut connu la mobilisation du printemps 2012 ! »
Si quelque chose meurt à force d’être fermé, pense l’ancien leader étudiant, ce n’est pas l’indépendance mais « le souverainisme ». « Depuis les débuts du PQ, cette idée est un échec. Elle dit qu’on aura un pays après un référendum. Sauf qu’en attendant, on va le détruire en exploitant du pétrole, en prenant n’importe quelle décision, sans réfléchir à ce qu’on veut faire pour plus tard ? Il faut articuler les choses autrement. »
Pour Nadeau-Dubois, le printemps érable a fait émerger les préoccupations qui intéressent la nouvelle génération dans un projet d’indépendance. « La justice sociale, l’environnement et la culture étaient au coeur de la mobilisation du printemps 2012. Mais on a voulu arrêter d’en parler en refermant la discussion par le jeu électoral. Le PQ s’est présenté aux élections de septembre 2012 comme le relais politique de ces idées, mais il ne les a pas incarnées du tout. Pas étonnant qu’il mobilise désormais aussi peu les jeunes. »
Selon Lamine Foura, 43 ans, animateur sur les ondes de Radio Moyen-Orient (AM 1450) et ingénieur aéronautique, il existe vraiment un fossé générationnel au sein du mouvement indépendantiste. « Je crois qu’une certaine conception de l’indépendance est dépassée. Ce n’est plus en parlant d’oppression économique que les jeunes vont se mobiliser. Pas pour rien qu’ils ont migré du PQ à Québec solidaire : les jeunes ont des idéaux, ils reviennent à des valeurs qui dépassent la seule sphère économique. La souveraineté, ce n’est pas simplement une affaire de transfert de compétences d’Ottawa à Québec ! »
Une idée qui s’use
L’idée d’indépendance s’use lorsqu’elle n’évolue pas. C’était déjà ce que répondait en substance André Laurendeau, au début des années 1930, à ceux qui reprochaient à ses camarades ainsi qu’à lui de lancer les Jeune-Canada, un mouvement séparatiste favorable à la création d’un État indépendant baptisé Laurentie. « Nous sommes de la génération des vivants », leur répondait-il.
Les Jeune-Canada mobilisent des milliers de personnes, publient des tracts, pilotent des pétitions. Ils protestent contre le sort malheureux fait aux francophones dans cette partie de l’Empire britannique. L’indépendance, ils l’envisagent dans une formule identitaire très étroite qui trouve preneur même chez un certain Pierre Elliott Trudeau, lequel participe à une société secrète indépendantiste. Plusieurs idées de ces groupes-là apparaissent nauséabondes. Et ces idées, Laurendeau tout comme d’autres s’en excuseront plus tard à raison.
Le monde et les temps changent. Trente ans plus tard, devenu rédacteur en chef du Devoir, André Laurendeau écrit, le 20 février 1961, qu’il ne comprend pas bien pourquoi l’idée d’indépendance réapparaît, envisagée sous de nouveaux angles. Pour Laurendeau, il est normal d’avoir été indépendantiste à vingt ans, mais il ne l’est plus une fois le cap de la quarantaine passé.
Un jeune homme lui répond. Il s’appelle Pierre Bourgault. En 1961, il n’est à peu près pas connu. Avec une poignée d’amis, Bourgault s’emploie à refaçonner le projet d’indépendance selon des formes nouvelles. Il écrit : « Vous êtes d’une génération qui ne bâtit plus rien que sur ses désillusions. […] Les séparatistes, pas plus que les autres citoyens, ne se préparent, comme vous dites, d’amères désillusions : vous leur avez mâché les vôtres, et maintenant vous essayez de les en nourrir. La plus grande déception qu’ils pourront jamais avoir de leur vie, c’est de vous voir si petit, après avoir entendu dire, dans leur enfance, que vous étiez si grand. »
Gabriel Nadeau-Dubois a souvent lu cette lettre de Bourgault. « Je la connais bien ! Elle exprime merveilleusement une certaine fatigue de la jeunesse d’aujourd’hui. Bourgault reproche à ceux qui voulaient faire l’indépendance d’avoir convenu de ne rien changer. C’est encore un peu le cas maintenant. On nous dit qu’on va la faire, mais que rien ne va vraiment bouger… Il faudrait au contraire avoir le courage de dire qu’on va la réaliser pour que les choses changent ! »
Même écho chez Jonathan Durand Folco, 28 ans, blogueur et candidat au doctorat à l’Université Laval, qui souhaite voir le mouvement indépendantiste sortir du populisme où s’enfonce un nationalisme de plus en plus conservateur. Il faut, dit-il, vite « repenser l’articulation de la question sociale et de la question nationale ».
Rupture et continuité
Tous les fils historiques qui conduisent au projet indépendantiste n’apparaissent pas sans ruptures. Mais le projet demeure une aspiration de fond qui s’établit dans la durée. Pour Myriam D’Arcy, « les raisons fondamentales de réaliser la souveraineté ne changent pas. C’est une idée de liberté, une volonté d’être maître de son destin. Mais il peut y avoir en plus des raisons circonstancielles ».
Lamine Foura se dit convaincu que la bataille des indépendantistes n’est pas perdue. « Sauf que doit cesser la confusion entre l’objectif de réaliser la souveraineté et celle de gouverner une province. La stratégie de la charte était clairement électoraliste, au mépris de la promotion de l’indépendance dans les communautés culturelles. C’était une erreur, comme l’est de croire que la souveraineté sera à gauche ou à droite : elle pourra être l’une et l’autre ! Une autre erreur : croire que pour être souverainiste, il faut être contre le multiculturalisme. Nous sommes contre le multiculturalisme utilisé par Trudeau pour isoler le Québec. Ça ne veut pas dire que le multiculturalisme ne représente pas une avenue possible pour penser la diversité dans le Québec de demain. »
Vous êtes d’une génération qui ne bâtit plus rien que sur ses désillusions. […] Les séparatistes, pas plus que les autres citoyens, ne se préparent, comme vous dites, d’amères désillusions : vous leur avez mâché les vôtres, et maintenant vous essayez de les en nourrir.