La «Dame de béton» passe au jardin

Québec — Alors que Pauline Marois tire sa révérence, des proches et témoins de son parcours ont accepté de nous parler du modèle qu’elle incarne et du legs qu’elle pourra laisser. Moments choisis de 36 ans de vie politique.
Agnès Maltais se souvient très bien de leur première rencontre. « C’était pendant la campagne de 1998, il y avait un gros rassemblement à Québec. » Nouvelle recrue au Parti québécois, Mme Maltais ne savait pas trop où se mettre jusqu’à ce que Pauline Marois lui dise : « Viens, embarque ! » pour l’emmener sur scène.
« C’était très généreux, se souvient la députée de Taschereau. C’est à l’image de la femme. Attentive aux personnes et au parti aussi. C’était important [pour elle] que je me sente dans l’équipe. »
En 1998, Mme Marois était déjà en politique depuis 20 ans. Issue du milieu communautaire, elle a fait ses débuts en 1978 comme attachée de presse de Jacques Parizeau. Puis, Lise Payette lui a demandé de devenir sa chef de cabinet à la Condition féminine. « Je l’ai fait venir dans mon bureau et je lui ai parlé pendant une heure de tous les dossiers que j’avais, se rappelle Mme Payette. Et quand je lui ai demandé si le travail l’intéressait, elle m’a dit : “ Ça m’intéresse, mais le problème c’est que je ne suis pas féministe ! ” »
Sa franchise a séduit la ministre. « Ça m’a tellement fait rire ! Je lui ai dit qu’après deux semaines dans mon bureau, avec les dossiers que j’avais, elle allait être féministe jusqu’à la fin de ses jours ! »
Au-delà de l’anecdote, Lise Payette se souvient du grand potentiel de la jeune Marois. « Cette femme-là a une capacité d’emmagasiner les documents… C’est fascinant de voir comment son cerveau travaille. »
Sa collègue et amie Nicole Léger note que contrairement à bien des dirigeants, elle n’a pas peur qu’on lui fasse de l’ombre. « Elle n’a jamais eu peur de s’entourer de gens très compétents et elle n’est jamais gênée de montrer que certains connaissent mieux un dossier qu’elle. »
François Gendron, lui, dit ne pas comprendre « où elle trouve toute son énergie ». Il en a fallu pour diriger douze ministères en carrière comme elle l’a fait.
Moins idéologue
Son bilan sur ce plan est sans égal dans l’histoire du Québec moderne. Jean Charest l’avait souligné lors de la démission de Mme Marois en 2006 (après la victoire d’André Boisclair à la chefferie). « Je ne connais aucun autre parlementaire […] qui a occupé à la fois les fonctions de ministre des Finances […] vice-première ministre, ministre de l’Éducation, ministre de la Santé, présidente du Conseil du trésor. Un jour, ne sait-on jamais, peut-être qu’un homme fera la même chose », avait-il lancé dans un hommage bien senti.
Pour la politologue Manon Tremblay, de l’Université d’Ottawa, Pauline Marois est une authentique femme de pouvoir. Moins « idéologue » que d’autres, elle serait davantage « une politicienne de pouvoir », une « bête politique », note-t-elle. « On lui a d’ailleurs reproché d’être opportuniste, de changer de position pour s’adapter à la conjoncture. »
Lorsqu’on les interroge sur les grands legs de la dame, deux réponses dominent : le développement des centres de la petite enfance (CPE) et la déconfessionnalisation des commissions scolaires.
« C’est difficile [de choisir] parce qu’elle en fait tellement », répond François Gendron. « Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est le dossier des commissions scolaires linguistiques. […] Tout le monde disait qu’elle allait se casser la gueule, et puis elle est allée chercher les amendements constitutionnels requis. »
Une femme forte, mais abonnée aux combats difficiles. Dont la relance d’un Parti québécois affaibli, note la professeure Tremblay.
« Quand j’ai appris la déconfiture du Parti québécois, elle m’a fait penser à Kim Campbell en 1993 [lors de la défaite écrasante du Parti conservateur]. Je trouve malheureux que les partis politiques fassent de la place aux femmes quand la défaite n’est pas trop loin. […] Quand un poste politique n’est pas compétitif, qu’il y a moins d’hommes qui se battent pour l’avoir, les femmes passent plus facilement. »
Nicole Léger dit qu’elle pense toujours à Mme Marois quand elle écoute la série télé Borgen, qui décrit le quotidien d’une femme à la tête du Danemark. La série, dit-elle, décrit le fait d’« être seule dans ses décisions, d’être seule, d’avoir la responsabilité sur les épaules. […] Comme celle de lancer des élections, c’est une grande décision après 18 mois de gouvernement minoritaire. […] C’est très, très pesant. »
Dès lors, sera-t-elle soulagée de céder le flambeau à d’autres ? Peut-être, répond Mme Léger. « Elle est capable de se dévouer à la cause à 100 %, mais en même temps, elle est capable de s’en aller dans sa cuisine et de s’occuper de ses fleurs. De faire des voyages et d’aimer la vie. Ce n’est pas une femme compliquée. »
Et la politique, c’est fini à jamais ? Pas si vite, répond l’ancienne ministre. « C’est une chose impossible à dire. Le mot “ jamais ” n’existe pas en politique. »