Où sont les femmes?

« On a une femme, actuellement, qui est au pinacle du pouvoir d’État au Québec, Pauline Marois. Il est possible que d’avoir une femme au “ top ”, ça incite davantage d’entre elles à aller voter, à s’intéresser à la politique et, peut-être, éventuellement à s’impliquer», estime la politologue Manon Tremblay.
Photo: - Le Devoir « On a une femme, actuellement, qui est au pinacle du pouvoir d’État au Québec, Pauline Marois. Il est possible que d’avoir une femme au “ top ”, ça incite davantage d’entre elles à aller voter, à s’intéresser à la politique et, peut-être, éventuellement à s’impliquer», estime la politologue Manon Tremblay.

D’une élection générale à l’autre, le même constat, implacable : la participation féminine progresse à pas de tortue en politique québécoise. Pourtant, lorsqu’elles se lancent dans l’aventure, les femmes ont tout autant de chances de l’emporter que leurs collègues de l’autre sexe, montre une analyse menée pour le compte du Devoir. Mais encore faut-il qu’elles se présentent en politique. Ou que les partis sachent comment les recruter.

 

Si les femmes restent largement sous-représentées au sein des institutions démocratiques québécoises, celles qui décident de s’engager en politique ont d’aussi bons résultats que les hommes, révèle une analyse réalisée par l’agence 37e Avenue pour Le Devoir. Détruit, le mythe de la femme-poteau aux chances minimes d’être élue. Défait, également, celui voulant que les électeurs favorisent des candidatures d’hommes au moment d’apposer un X sur leur bulletin de vote.

 

Tous partis confondus, de 2003 à 2012, près de 28 % des candidats aux élections provinciales étaient des femmes. Mais celles-ci avaient des chances égales, parfois même supérieures, de remporter leurs élections que les hommes.

 

Dire que les candidates sont souvent envoyées dans des circonscriptions où elles ont peu de chances de gagner est également faux, du moins pour les élections en cours, seul le Parti québécois ayant envoyé un peu plus de candidates dans des circonscriptions rompues à ses adversaires.

 

Les données compilées proviennent des résultats électoraux officiels publiés par le Directeur général des élections du Québec. Pour réaliser ce portrait, les 2868 résultats électoraux des quatre dernières électionsgénérales provinciales — celles de 2003, 2007, 2008 et 2012 — ont été analysés.

 

« Mathématiquement, si tous les partis présentaient autant de candidates que de candidats, les problèmes seraient réglés, observe Esther Lapointe, la directrice générale de l’organisme Femmes, Politique et Démocratie, voué à la promotion de la participation des femmes en politique. L’électorat n’étant pas sexiste, on aurait de bonnes chances de voir beaucoup plus de femmes en politique si elles se présentaient. Mais ce n’est pas le cas. »

 

Le difficile équilibre travail-famille demeure un frein à l’engagement des femmes dans la vie démocratique, estime Catherine Côté, politologue à l’Université de Sherbrooke. Le départ de la vie politique de l’ex-ministre Yolande James, mère depuis l’été dernier, en est le plus récent exemple, dit-elle. « Le fardeau de tout ce qui est maternité, enfant, tâches domestiques, encore bien souvent, ce sont les femmes qui s’en occupent. Pour plusieurs, l’intérêt pour la politique viendra plus tard, une fois la vie familiale et la carrière bien établies. »

 

Même lorsqu’elles proviennent de milieux privilégiés, même lorsqu’elles figurent au sein de l’« élite » de leur profession, les femmes ressentent moins l’appel de la politique, nuance la politologue Manon Tremblay, qui étudie depuis de nombreuses années la place des femmes en politique. La femme est aujourd’hui plus présente que l’homme sur les bancs d’université et poursuit sa poussée dans le monde des affaires. Pourtant, la politique résiste à cette tendance égalitaire.

 

Le ton hargneux des échanges et le climat de conflit perpétuel qui caractérise bien des parlements et hôtels de ville ne font rien pour convaincre davantage de femmes de tenter l’expérience dans ce qui constitue, parfoisencore aujourd’hui, un « boys’ club », croit Mme Tremblay. Mais la présence de femmes « fortes » telles Pauline Marois, Monique Jérôme-Forget ou encore Hillary Clinton pourrait changer la donne.

 

« On a une femme, actuellement, qui est au pinacle du pouvoir d’État au Québec. Il est possible que d’avoir une femme au “ top ”, ça incite davantage d’entre elles à aller voter, à s’intéresser à la politique et, peut-être, éventuellement à s’impliquer. […] Mais encore trop souvent, quand on sollicite les femmes, elles déclinent. Elles ne se voient pas en politique. Les hommes, eux, s’imaginent déjà ministres lorsqu’ils sont approchés », lance Mme Tremblay.

 

En outre, les femmes se présentent principalement dans les grands centres, et beaucoup moins dans les régions plus rurales du Québec. Une réalité que Mme Lapointe attribue aux conditions d’emploi parfois plus précaires de celles-ci. « Non seulement les circonscriptions et les distances à parcourir sont beaucoup plus grandes en région, mais on a également observé, au Saguenay–Lac-Saint-Jean par exemple, que la question financière, les emplois moins bien rémunérés des femmes, était un facteur important. »

 

Aux partis politiques d’agir, concluent les trois expertes. Certaines suggèrent des quotas, d’autres pas. « Ce n’est pas impossible, infaisable, les quotas, affirme Manon Tremblay, jointe à Paris. Des partis politiques ont adopté des mesures coercitives, notamment le Parti travailliste de Grande-Bretagne. Il faudrait surtout que les formations politiques d’ici fassent de l’égalité des femmes et des hommes un objectif concret. Mais pour ça, il faut qu’il y ait une volonté. »

 

Catherine Côté, elle, place sa confiance dans l’évolution des mentalités. La génération Y — celle des jeunes ayant vu le jour du milieu des années 1980 aux années 2000 — a fracassé pour de bon le plafond de verre, assure-t-elle.

 

« Il y a un fardeau dont on s’est complètement débarrassé. De plus en plus, les femmes ont envie de faire de la politique, de faire bouger les choses, d’agir. Les femmes de la génération Y n’ont plus les préoccupations de leurs aînées. J’ai hâte de voir à quel point elles vont se lancer », dit Mme Côté.

 

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