Couillard a placé des fonds dans un paradis fiscal

Le chef libéral Philippe Couillard a placé 600 000 $ dans un compte bancaire de l’île de Jersey, considérée comme un paradis fiscal, pendant qu’il travaillait comme neurochirurgien en Arabie saoudite dans les années 90.
M. Couillard a possédé ce compte dans la petite île européenne durant huit ans, de 1992 à 2000, a révélé mercredi l’émission Enquête de Radio-Canada. Cette manoeuvre tout à fait légale a permis à Philippe Couillard de ne payer aucun impôt sur les centaines de milliers de dollars qu’il dit avoir placés en toute bonne foi.
Un conseiller du chef libéral a confirmé au Devoir que Philippe Couillard a ouvert ce compte à son arrivée en Arabie saoudite avec sa femme de l’époque et leurs trois enfants, en 1992. Il avait vendu toutes ses possessions au Canada et n’était plus considéré comme un résident canadien.
M. Couillard a ouvert ce compte à la suggestion d’autres Canadiens présents en Arabie saoudite, selon un membre de son entourage. Il a déposé dans ce compte ses payes encaissées durant son séjour de quatre ans en Arabie, entre 1992 et 1996. Il a détenu le compte conjointement avec son ex-femme jusqu’à leur séparation, en 2000.
Philippe Couillard a déclaré volontairement l’existence de ce compte au fisc canadien et québécois dès son retour au Québec, après quatre années passées en Arabie saoudite. À partir de ce moment, il a payé des impôts à Revenu Québec et Revenu Canada sur les intérêts de son placement — et non sur le capital —, comme le prévoit la loi.
Pour M. Couillard, ce compte à l’île de Jersey était une simple formalité, et non une façon d’éviter de payer de l’impôt, selon un membre de son entourage. Il affirme avoir été totalement transparent en signalant lui-même l’existence du compte aux autorités canadiennes dès son retour au pays.
Règles fiscales opaques
« Le problème, c’est qu’on puisse recourir à un paradis fiscal comme celui-là sur un mode légal », a réagi Alain Deneault, docteur en philosophie et auteur de plusieurs essais sur les paradis fiscaux.
L’île de Jersey, située entre le Royaume-Uni et la France, était « très clairement un paradis fiscal » à l’époque où Philippe Couillard a fait ses placements, selon lui. Les détenteurs de comptes jouissaient du secret bancaire. Au début des années 2000, des dépôts bancaires de plus de 200 milliards d’euros avaient trouvé refuge dans cette île de moins de 100 000 habitants, selon Alain Deneault.
« À cause de règles fiscales opaques, on est obligés de croire sur parole M. Couillard. Imaginez si tous les contribuables pouvaient déclarer leurs revenus comme bon leur semble [comme il dit l’avoir fait] », a affirmé l’auteur au Devoir.
« Pour qu’il y ait un lien de confiance entre les citoyens et l’État, ça prend un minimum de contrôle sur les questions fiscales. Mais il est difficile de s’attendre à ce qu’un chef d’État qui bénéficie d’un paradis fiscal lutte contre le problème de l’évasion fiscale », a-t-il ajouté.
« Manque de transparence »
Le Devoir a offert au Parti libéral de publier la déclaration de revenus et la liste des actifs de Philippe Couillard et de sa conjointe, que le PLQ doit dévoiler ce jeudi. Le PLQ a refusé notre invitation.
La Coalition avenir Québec dénonce un « gros manque de transparence » de la part du chef libéral. « En manquant de transparence à l’égard des Québécois, Philippe Couillard s’inscrit dans la lignée de Jean Charest », a affirmé le porte-parole de la formation politique, Guillaume Simard-Leduc. À la lumière de ces « révélations embarrassantes », l’appel lancé mardi par M. Couillard aux autres chefs de dévoiler le portrait complet de leurs actifs apparaît « très suspect ».« Ça aura pris encore une fois des journalistes pour révéler la vérité », a ajouté M. Simard-Leduc.
Aucune trace de 428 000 $
Philippe Couillard était à Radio-Canada, mercredi soir, pour l’enregistrement de l’émission Tout le monde en parle qui sera diffusée dimanche. Il doit passer la plus grande partie de la journée de jeudi à se préparer pour le deuxième débat des chefs, qui aura lieu ce jeudi soir à TVA.
« La pression est sur tous les chefs, mais certainement que je suis devenu la cible,a-t-il commenté plus tôt dans la journée de mercredi. Personne n’est naïf. L’augmentation des activités de salissage depuis le sondage Léger était attendue. Je ne suis pas surpris de ça, mais les citoyens sont déçus de cette ambiance dans la campagne. »
Philippe Couillard « porte fièrement l’héritage entier du Parti libéral du Québec », mais il ne souhaite pas être lié aux problèmes de financement associés aux années Charest. « Je ne joue pas dans un reality show du passé », a affirmé mercredi le chef libéral.
M. Couillard a encore dû répondre à plusieurs questions touchant l’intégrité. Il a soutenu avoir posé toutes les questions à l’intérieur du PLQ pour savoir ce qui serait arrivé d’une somme de 428 000 $ amassée lors d’une activité de financement il y a quelques années, somme qui n’apparaît nulle part dans les livres.
« Ce qu’on m’indique, c’est qu’il n’y a pas de trace de cet argent, de quelque façon que ce soit. […] On n’a pas de renseignements supplémentaires, et il faut que l’UPAC joue son rôle. »
L’Unité permanente anticorruption (UPAC) fait enquête sur cette activité depuis l’automne. Mardi, le Parti québécois a déposé une plainte au Directeur général des élections (DGE) sur le même sujet. « Si des gens ont commis des actes répréhensibles, ils doivent être sanctionnés », a soutenu M. Couillard.
Selon M. Couillard, des gens comme Marc Bibeau — ancien grand argentier du PLQ, dont les entreprises ont été perquisitionnées par l’UPAC dans les derniers mois — n’ont plus leur place dans le paysage du financement.