81e congrès de l’Acfas - Emploi-Québec, une porte d’entrée vers les agences controversées de location de personnel

Québec — Emploi-Québec contribue à l’essor des agences de location de personnel en affichant leurs offres sur son portail Web. Confus, des gens se font ainsi recruter malgré eux dans des emplois plus précaires.
Après le site Web Kijiji et d’autres portails comme Jobboom, le site d’Emploi-Québec est la principale porte d’entrée des gens vers ces agences, a révélé mardi le professeur de l’INRS Mircea Vultur lors d’une présentation à l’Acfas.
Phénomène grandissant dans le monde du travail, les agences de location de personnel sont controversées parce qu’elles permettent aux entreprises de se soustraire aux syndicats et à toutes sortes d’obligations.
M. Vultur et son collègue Jean Bernier de l’Université Laval organisaient un colloque uniquement dédié à ces agences qui doit prendre fin aujourd’hui. Les chercheurs y ont démontré que souvent, les travailleurs d’agence étaient moins payés que les employés réguliers des entreprises où on les dépêche, et ce, pour le même travail.
Fait notable, il arrive que les gens aboutissent dans le système des agences sans l’avoir voulu parce que les sites Web - dont celui d’Emploi-Québec - ne spécifient pas si une offre provient d’une agence ou pas.
« Je soupçonne que les postes annoncés n’existent même pas », a avancé le professeur Bernier. Ainsi, l’agence se servirait de l’annonce « pour se constituer une banque de données ». Le fait qu’Emploi-Québec, un organisme public, participe à cela même indirectement « pose des questions », selon lui.
Un représentant d’Emploi-Québec qui était présent dans la salle, Alain Rhéault, a alors précisé que le « service de placement en ligne était offert pour l’ensemble des entreprises » et qu’il était basé « sur les inscriptions volontaires de ces dernières ». M. Rhéault, qui dirige la direction des enquêtes, a ajouté que « quand on a connaissance » que des entreprises sont « suspectées d’activités frauduleuses, on les retire ».
Un représentant du ministère du Travail, Patrice Tremblay, a ajouté que les chercheurs d’emplois avaient la possibilité de « cocher une case pour exclure les agences » de leurs résultats.
Les agences de location sont présentes surtout dans les secteurs du travail de bureau, des institutions financières, de la manutention, du secteur manufacturier, de la transformation alimentaire et de l’entreposage.
Un dernier recours pour beaucoup d’immigrants
Malgré tout, ces agences permettent aussi à des immigrants de se trouver un emploi quand toutes les autres portes se ferment. « C’est une façon pour eux de contourner la discrimination raciale et ethnique dont ils sont victimes sur le marché du travail », a souligné Sylvie Gravel de l’École des sciences de gestion de l’UQAM.
Le professeur Mircea Vultur a aussi insisté sur le fait que, pour certains - les jeunes étudiants en particulier -, il s’agissait d’un choix. Les agences, dit-il, ont l’avantage de faciliter les horaires irréguliers, le travail intermittent, etc.
Les résultats préliminaires présentés mardi sont issus d’une série d’entrevues menées auprès de 42 de ces travailleurs. Le groupe comptait 28 hommes et 14 femmes. La moitié sont des immigrants de l’Afrique noire et du Maghreb en majorité. Plusieurs chercheurs ont souligné qu’ils étaient surscolarisés pour les emplois qu’on leur confiait.
« On travaille comme des animaux », a déclaré en entrevue un immigrant africain affecté à l’expédition des colis. Un autre a comparé les relations avec ses supérieurs à celles de « maîtres-esclave ».
« Dans un cas, ils ont fait travailler un homme avec un truc très dangereux, mais il ne le savait pas », a raconté la chercheuse Marie-Josée Dupuis, de l’organisme Au bas de l’échelle. Préoccupé par le fait de transporter une matière dangereuse, il a demandé à son supérieur s’il était vrai qu’il risquait « de faire exploser la bâtisse » en échappant la bonbonne qu’il transportait. Il s’est fait répondre que c’était « pour ça » que la tâche avait été confiée à une personne d’une agence.
« Comme ça, s’il y a un problème, c’est pas nous autres qui se ramassent avec les troubles, c’est l’agence qui va devoir remplir les papiers », pouvait-on lire dans l’extrait d’entrevue.
Comme n’importe quelles entreprises, les agences sont soumises au Code du travail et à la Loi sur la santé et la sécurité au travail. Or, puisque le rôle de l’employeur se partage entre l’agence et l’entreprise, les lois ne sont pas d’un grand secours, résume Jean Bernier. « Qui fournit les équipements de sécurité ? Qui donne la formation ? Si l’entreprise fait faire des heures supplémentaires et que l’agence n’est pas d’accord, qui paye pour ? »
Le colloque a aussi permis de déboulonner certains mythes. Une nouvelle étude de la Commission des normes du travail montre que la grande majorité des agences ne perçoivent pas de frais des travailleurs pour leur formation ou d’autres services. L’étude révèle aussi que la plupart ne sont pas payés en bas du salaire minimum. Or, elle avance que 90 % des sondés ont été victimes d’au moins une infraction à la Loi sur les normes du travail.