Commission Charbonneau - Lino Zambito implique Pierre Bibeau, Gilles Vaillancourt et des partis politiques

Ce n’est pas la première fois que M. Zambito montre Pierre Bibeau du doigt. (Photo d'archives)
Photo: Le Devoir Ce n’est pas la première fois que M. Zambito montre Pierre Bibeau du doigt. (Photo d'archives)

L’ex-entrepreneur Lino Zambito a déclaré sous serment lundi matin à la Commission Charbonneau, avoir donné une enveloppe contenant 30 000 $ comptant au vice-président de Loto-Québec, Pierre Bibeau, afin de financer le Parti libéral du Québec (PLQ).

M. Zambito affirme qu’il a remis cette somme en se rendant aux bureaux de M. Bibeau, à la société d’État. La rencontre n’aurait duré qu’une dizaine de minutes. L’argent lui avait été réclamé par M. Bibeau lui-même pour l’activité de financement du PLQ s’étant déroulé quelques jours plus tôt, soit le 6 avril 2009.

Cet événement de financement s’est tenu sous la présidence d’honneur de l’ex-ministre de l’Environnement, Line Beauchamp, qui était alors la conjointe de Pierre Bibeau. Ce dernier, ancien organisateur en chef des libéraux, n’occupait alors aucune fontion officielle au sein du PLQ.

Le déjeuner de financement réunissait une vingtaine de personnes dont Paola Catania, de la firme Catcan, le controversé homme d’affaires Domenico Arcuri, qui serait associé à la mafia montréalaise, et M. Zambito qui était accompagné de son oncle, Jean Rizzuto.

Selon M. Zambito, il en coûtait 1000 $ par personne pour participer à l’activité. Sa contribution s’est toutefois élevé à 30 000 $. Selon les documents du PLQ, cette activité a permis d’amasser 61 000 $.

Bibeau dément

En fin d'après-midi, M. Bibeau a dénoncé, par voie de communiqué, les allégations portées à son égard. Il a ajouté que ses avocats et lui avaient convenu «d'attendre le déroulement des interrogatoires et contre-interrogatoires avant d'entreprendre quelques démarches juridiques que ce soit».

«Un tort inestimable m'est causé ainsi qu'à tous ceux qui sont pointés du doigt, sans autre forme de procès, dans ces affaires me concernant», a écrit M.Bibeau.

Il s'est dit disponible «pour rétablir les faits auprès de la commission Charbonneau et collaborer avec elle», ajoutant que celle-ci «saura faire la différence entre le vrai et le faux».

Ce n’est pas la première fois que M. Zambito montre Pierre Bibeau du doigt. L’ex-entrepreneur a raconté devant la Commission Charbonneau avoir rencontré M. Bibeau alors qu’il avait été sollicité par un collecteur de fonds qu’il ne connaissait pas. Christian Côté, employé d’une filiale de la firme Dessau, travaillait à amasser des fonds pour le ministre David Whissel. Il aurait réclamé 50 000 $ comptant de la part de M. Zambito.

Mal à l’aise, Lino Zambito a fait appel à son oncle Jean Rizzuto, un libéral notoire, pour qu’il intervienne auprès de Pierre Bibeau. Ce dernier a stoppé les élans de M. Côté en téléphonant à son fils, Alexandre Bibeau, alors chef de cabinet du ministre Whissel.

«Je n'ai pas été un ange. J'ai truqué des contrats; j'ai financé des partis politiques; j'ai corrompu des fonctionnaires, mais le système était fait de telle façon que si je voulais travailler, que ça soit à Laval, Montréal, sur la Rive-Nord ou le ministère, je n'avais pas le choix d'agir ainsi», a dit M. Zambito.

Plusieurs partis

L'ex-entrepreneur spécialisé dans les égouts a également indiqué avoir fait des dons tant au Parti libéral du Québec qu'à l'Action démocratique du Québec et au Parti québécois, souvent par l'intermédiaire de prête-noms, puisqu'il avait déjà personnellement amplement dépassé la limite permise de 3000 $.

«Un moment donné, on atteint notre limite de contributions. Notre entourage qu'on peut aller voir pour nous faire des chèques et le remettre en argent, on n'en a plus. Comme j'ai déjà dit à quelqu'un au Parti libéral: "ma grand-mère est décédée, je ne peux pas lui en faire faire de chèques". Ça fait qu'on rencontre, on propose et on dit: "moi, les chèques, je ne suis plus capable de vous en faire, est-ce que ça ferait votre affaire si je vous le donne en comptant?" Quand la personne me dit "oui, ça va être correct"...»

M. Zambito a tenté de justifier le fait qu'il ait donné des fonds à tous les partis politiques. «C'était des commandes qu'on avait. Ça n'a pas été des montants qu'on a versés par conviction; c'était des montants qui ont été versés par obligation, des ententes, des demandes qui m'ont été faites», a-t-il expliqué.

La Commission Charbonneau a d'ailleurs obtenu des relevés téléphoniques de M. Zambito, de la part de Bell Mobilité, qui confirment certains appels qu'il a dit avoir reçus ou faits, notamment à Violette Trépanier, responsable du financement au Parti libéral du Québec, et à Alexandre Bibeau, alors directeur de cabinet du ministre David Whissell.

Et à Laval

M. Zambito a également montré du doigt le maire de Laval, Gilles Vaillancourt.

À Laval, a-t-il précisé, c'est un groupe de neuf entrepreneurs qui se répartissent les contrats tour à tour, comme ce qu'il a décrit à Montréal.

En 2002-2003, il avait été incité par un autre entrepreneur à assister à l'ouverture du magasin de meubles et d'électroménagers MD Vaillancourt, à Dollard-des-Ormeaux, qui appartient à la famille du maire de Laval. Lorsque le maire a terminé son allocution, il est allé rencontrer M. Zambito pour lui dire: «ta job, ton contrat s'en vient sous peu; les gars vont te dire c'est lequel».

Peu après, Infrabec de M. Zambito a obtenu le contrat du boulevard Cléroux, réalisé en 2003. Mais le contrat, ardu, lui a coûté 400 000 $ de plus que prévu.

C'est par un intermédiaire, Marc Gendron, du bureau d'ingénieurs Tecsult à Laval, que M. Zambito affirme avoir appris qu'il devrait faire un don politique s'il voulait que ses dépenses supplémentaires de 400 000 $ lui soient remboursées.

«Ça a été assez clair, quand j'étais dans son bureau, M. Gendron m'a fait part: "vous avez fait des réclamations pour tel contrat et vous avez eu des difficultés. Vos extras sont possiblement recevables, mais je pense que t'es au courant de la façon dont ça fonctionne à Laval". M. Gendron a été clair avec moi; il m'a dit "si tu veux que tes extras soient autorisés, ça prend un montant de 25 000 $ qui va directement au maire Gilles Vaillancourt". M. Gendron était l'intermédiaire entre le maire et les entrepreneurs», a conclu M. Zambito.

Mais même avant d'avoir eu son premier contrat à Laval, il avait eu vent du système qui y prévalait. «C'était très connu dans le milieu. À Laval, c'était clair, c'était une "quote" de 2,5 % que les entrepreneurs donnaient au maire de Laval, M. Vaillancourt, par le biais d'un intermédiaire», a rapporté M. Zambito.

L'attachée de presse du maire Vaillancourt, Johanne Bournival, a fait savoir que ce dernier niait tout. Il a nié avoir reçu de l'argent de la part de M. Zambito ou de qui que ce soit en échange de l'octroi d'un contrat.

L'ex-entrepreneur, aujourd'hui restaurateur, a également témoigné du fait que l'ancien candidat à la mairie de Montréal Benoit Labonté, de Vision Montréal, lui a également demandé de lui donner un coup de main pour sa campagne en 2009, même s'il ne résidait même pas à Montréal. «Je lui ai remis 25 000 $ à 30 000 $ comptant, personnellement», dans un restaurant de Laval, a-t-il témoigné.

Différent au MTQ

Au ministère des Transports du Québec, le système était différent, a-t-il expliqué. Là, les entrepreneurs s'entendaient moins souvent entre eux pour se répartir d'avance les contrats, comme c'était le cas à Montréal, par exemple.

Ce qui arrivait le plus souvent au MTQ, a-t-il témoigné, c'était que les firmes privées de génie qui effectuaient la surveillance des chantiers pour le ministère accordaient des «extras» aux entrepreneurs pour des travaux supplémentaires qui avaient dû être effectués. Mais ces extras pouvaient facilement être exagérés ou des factures d'achat de matériaux faussées, afin qu'une des parties dispose ainsi d'argent à verser aux partis politiques, a-t-il laissé entendre.

Il a aussi précisé que des entrepreneurs bénéficiaient parfois d'informations privilégiées de la part des ingénieurs du privé qui faisaient la conception des travaux. Ils avaient une indication sur la quantité de terre à excaver, par exemple, ce qui leur permettait d'être avantagés par rapport à leurs concurrents. «On est payé en quantité et c'est là qu'un ingénieur peut vous aider», a-t-il affirmé.

Le témoignage de M. Zambito se poursuivra mardi.

À voir en vidéo