Ménage de François Legault en éducation - Un laissez-passer pour la Cour suprême

Photo: - Le Devoir

Si un éventuel gouvernement caquiste va de l’avant avec la promesse de François Legault d’abolir les élections scolaires, une poursuite devant les tribunaux est à prévoir. La communauté anglophone, notamment, voudra conserver le droit de s’impliquer activement dans la gestion de ses écoles par la voie d’un scrutin. Un constitutionnaliste spécialisé dans les questions de minorités linguistiques leur donne raison.

« Je crois que certainement, si l’abolition des commissions scolaires va de l’avant, cela sera porté en appel », lance en entrevue David D’Aoust, le président de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec. Précisant que c’est le conseil d’administration de l’Association qui devrait en décider, il ajoute : « Mais est-ce que je pense qu’ils vont vouloir réagir ? La réponse est oui. C’est toujours une question d’argent, parce que quand on va devant la Cour suprême, on sait très bien que c’est coûteux. […] Mais d’après les avis qu’on a reçus, on est [raisonnablement sûrs] qu’on est couverts constitutionnellement et que le gouvernement doit non seulement continuer de respecter l’existence des commissions scolaires anglophones, mais aussi permettre aux anglophones de les gérer. »


La CAQ promet d’abolir les 72 commissions scolaires du Québec. Leurs responsabilités seraient confiées aux écoles et à 39 centres de services devant être créés. Les élections scolaires, dont le taux de participation famélique fait souvent les manchettes, seraient abolies. Ce seraient plutôt des fonctionnaires nommés par le gouvernement qui géreraient les centres de service. Neuf de ces centres seraient réservés à la communauté anglophone.


M. D’Aoust estime que cela pose problème néanmoins, car c’est la fonction élective qui est importante. « Si M. Legault nous donne une commission scolaire mais qu’il en nomme les membres, j’ai tendance à dire que non, ce ne serait pas acceptable. » Il rappelle que les commissaires élus et les élections n’accaparent que 0,1 % des dépenses en éducation au Québec. « Quand on fait ça, ce n’est pas parce qu’on veut mettre ça sur notre c.v. On ne voit pas cela comme le premier échelon d’une carrière politique. Les gens, dans la communauté, voient cela comme une forme de bénévolat. »


Le constitutionnaliste Stéphane Beaulac, spécialisé dans les questions liées aux commissions scolaires, estime lui aussi qu’il est « certain » que l’abolition des commissions scolaires québécoises se terminera devant les tribunaux, parce que trop de jurisprudence reste floue.


M. Beaulac rappelle que contrairement à la croyance populaire, la gouvernance scolaire ne constitue pas un palier gouvernemental autonome protégé par la constitution. Elle découle d’une délégation de pouvoirs de la province, qui peut donc les reprendre à sa guise. En ce sens, François Legault peut aller de l’avant, assure-t-il. La seule contrainte, et elle est de taille, est qu’il faut assurer que la minorité linguistique conserve la gestion réelle de son réseau scolaire.

 

L’expérience du Nouveau-Brunswick


Justement, son collègue constitutionnaliste Pierre Foucher, de l’Université d’Ottawa, pense que le projet de Legault ne passe pas la rampe parce que le contrôle prévu par la CAQ pour les anglophones n’est pas suffisant. « Je suis très, très, très, très sceptique, dit-il en entrevue avec Le Devoir. Je n’ai rien vu à ce jour pour me rassurer que c’est conforme à la Charte des droits. »


M. Foucher rappelle que c’est exactement pour protéger sa minorité francophone que le Nouveau-Brunswick, qui avait aboli les commissions scolaires en 1996, a dû faire marche arrière cinq ans plus tard. Les francophones étaient sur le point de déposer une poursuite.


M. Foucher évoque la jurisprudence, qui a établi que la minorité linguistique doit avoir le pouvoir d’embaucher le personnel, le contrôle des dépenses, le contrôle des aspects culturels du programme et, ce qui est très important, le droit d’ouvrir ou de fermer des écoles. Si ces pouvoirs sont conférés à un « centre de services » dont les dirigeants sont nommés par le gouvernement, alors la communauté n’a pas véritablement le contrôle, explique-t-il. « L’aspect représentation [par une élection] est fondamental », tranche M. Foucher.


M. Legault promet quand même que les parents pourront faire élire leurs représentants sur des comités d’école. N’est-ce pas suffisant ? Non, réplique le professeur. « Ça m’apparaît extrêmement douteux, à moins que les parents détiennent un droit de veto ou la majorité absolue des sièges. »

 

Une taxe sans élus?


De son côté, la présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec, Josée Bouchard, met François Legault en garde : s’il abolit les commissions scolaires et leurs d’élus, il aura de la difficulté à maintenir la taxe scolaire. « No taxation without representation », lance au bout du fil Mme Bouchard. « Il y a un principe fondamental en démocratie, c’est que lorsqu’on prélève une taxe, on en est responsable avec une reddition de comptes. »


En table éditoriale avec Le Devoir mardi, François Legault a balayé cette préoccupation du revers de la main en faisant valoir que presque toutes les commissions scolaires imposent désormais le taux de taxation maximum permis par Québec, soit 0,35 $ par 100 $ d’évaluation municipale de la propriété. Leur autonomie fiscale est donc dans les faits inexistante.


« Sur 72 commissions, juste trois ne sont pas à 0,35 $ du 100 $. Quand on dit No taxation without representation […] il y a un système de préréquation au MEQ : dépendamment de la richesse, il y a de la péréquation. Dans le fond, aucune imputabilité n’est rattachée à la taxe scolaire. »


Une vérification rapide et non exhaustive du Devoir a permis de dénicher quatre commissions scolaires imposant moins que 0,35 $/100 $ (dont deux à Québec et une anglophone en Outaouais), ainsi que toute l’île de Montréal, où le taux établi par le Comité de gestion de la taxe scolaire est fixé à 0,22 $/100 $.

 

Réforme de structure?


En abolissant les commissions scolaires, la CAQ vise à redonner de l’autonomie aux écoles. Les centres de services s’occuperaient du transport scolaire et des rénovations, tandis que les écoles s’occuperaient de la gestion des services éducatifs, tels que les orthopédagogues, les psychologues, les conseillers pédagogiques, etc. Ceux-ci travaillent souvent dans plusieurs écoles, à raison d’une journée ou deux par école. Ce sont les commissions scolaires qui coordonnent le tout.


Cette délégation inquiète Josée Bouchard. « Les directeurs d’école vont devoir maintenant faire des téléphones et parler avec d’autres directions d’école [pour arrimer les horaires],et quand un directeur d’école fait ça, il n’est pas en train de s’occuper de la mission de l’école et d’être un leader pédagogique », dit-elle. Elle prédit que les écoles devront embaucher du personnel administratif pour s’acquitter de cette tâche, sans aucune économie réelle.


Mme Bouchard en conclut que les commissions scolaires sont victimes de la méconnaissance du public de leur rôle. « On est déjà des centres de services ! […] Ça ne fait pas si longtemps que ça que les commissions scolaires embauchent des conseillers en communication. Parce qu’on nous disait que si on mettait de l’argent là, on n’en mettait pas au service des élèves. Ça a été une erreur. On aurait dû le faire plus tôt et s’ouvrir davantage. »

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