Et s’il y avait un deuxième tour?

Attention, répond le professeur André Blais, un expert des systèmes électoraux basé à l’Université de Montréal. «La recherche d’un mode de scrutin où il n’y aurait pas de vote stratégique est illusoire. […] Dans tous les modes de scrutin, les considérations stratégiques entrent en ligne de compte. J’ai fait des études qui montrent qu’il y a autant de vote stratégique dans les scrutins à deux tours ou proportionnels que dans le nôtre.»
Le système à deux tours ouvre la porte à ce qu’il appelle des votes stratégiques inversés. Par exemple, un partisan du Parti québécois convaincu que son parti se rendrait au deuxième tour pourrait décider de soutenir Québec solidaire au premier tour. Avec les conséquences qu’on peut imaginer.
On se rappelle la surprise et le choc des électeurs français lors de la présidentielle de 2002, quand le candidat du Parti socialiste Lionel Jospin ne s’était même pas rendu au deuxième tour et que Jacques Chirac avait finalement affronté Jean-Marie Le Pen.
Tout de même: en comparaison avec notre système, le mode de scrutin à deux tours «abandonne un peu moins les petits partis», selon le professeur Blais. Malgré tout, ce système n’a pas la cote et, à l’exception de la France, peu de pays ont osé l’adopter.
Le professeur de sciences politiques Jean-Pierre Derriennic, de l’Université Laval, n’aime pas non plus le système français. Il lui préfère le système de vote préférentiel utilisé en Australie et en Irlande, notamment.
Les défauts du système à un tour
Ce mode de scrutin est basé sur le même mécanisme que le vote de la dernière course à la chefferie du Nouveau Parti démocratique. L’électeur indique sur le bulletin de vote qui est son premier choix parmi les candidats, qui est son deuxième choix et ainsi de suite jusqu’au dernier.
Lors d’un premier décompte, on élimine le candidat qui a eu le moins d’appuis et on ajoute au calcul les deuxièmes choix de ceux qui l’avaient sélectionné. L’exercice se poursuit jusqu’à ce qu’un candidat obtienne une majorité absolue ou un pourcentage donné.
«Si, en 2002, les Français avaient fait ça, les petits partis de gauche qui avaient fait perdre Jospin au premier tour, leur deuxième préférence serait allée à Jospin, pas à Le Pen», avance M. Derriennic.
Contrairement au système français, ce mode de scrutin ne force pas les gens à se déplacer deux fois pour voter. Toutefois, le dépouillement est beaucoup plus long. En Irlande, il peut facilement prendre deux jours !
Mais quel que soit le nouveau mode de scrutin, le professeur Derriennic estime qu’il est impératif de se départir de celui que nous avons. «Le système que nous avons ne fonctionne pas bien quand il y a plus de deux partis politiques, observe-t-il. Lorsqu’il y en a plus de deux, il multiplie les effets pervers.»
En minimisant l’importance des plus petits partis, il nous donne une lecture faussée des votes et condamne les petits partis à la marginalité, déplore-t-il. Un autre système «donnerait forcément une composition différente à l’Assemblée nationale et une image beaucoup plus fidèle de la répartition des opinions».
Le système uninominal à un tour n’a vraiment pas la cote, renchérit le professeur Blais. D’ailleurs, dans l’histoire récente, les pays qui ont changé de mode de scrutin ont plutôt opté pour différentes formules mixtes ou proportionnelles.
C’est le cas notamment des électeurs de la Nouvelle-Zélande, qui ont rejeté le système uninominal à un tour en 1992 pour choisir le système mixte compensatoire à l’allemande. Les provinces de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et de l’Île-du-Prince-Édouard ont aussi envisagé d’adopter ce mode de scrutin, mais leurs citoyens ont rejeté le projet en référendum.
«Comme si c’était le deuxième tour»
Dans la lettre évoquée plus haut, Bernard Émond écrivait que, «dans toutes les circonscriptions gagnables par le Parti québécois», il «fallait voter comme si c’était le deuxième tour». «C’est Charest ou Marois, comme en France en mai c’était Sarkozy ou Hollande, écrivait-il. L’élection sera trop serrée pour risquer de perdre une seule circonscription aux libéraux à cause de la division du vote progressiste.»
Son propos a suscité des réactions passionnées. Dans une réplique cinglante, un lecteur a tenu à rappeler que le PQ aurait pu réformer le mode de scrutin lorsqu’il était au pouvoir et qu’il ne l’a pas fait. «À chacune des élections, il faut voter stratégique. Mais moi, je n’y arrive plus, disait-il. Si, au Québec, il n’y a ni deuxième tour ni proportionnelle, c’est la faute du Parti québécois, non ? N’était-ce pas dans son programme, en 1976, d’instaurer une proportionnelle ?»
Il y a quelques mois encore, la question a été discutée au conseil national du parti puis écartée. Or le PQ n’est pas le seul à avoir tergiversé sur cette question. L’ADQ et les libéraux ont eux aussi réclamé une telle réforme pour ensuite la mettre en veilleuse.
Dès lors, quand on demande à André Blais s’il croit à la possibilité d’une réforme du système électoral, sa réponse est peu enthousiaste. «Je pense que la probabilité est élevée que, d’ici 150 ans, ça se fasse, dit-il en riant. Les principaux partis n’ont pas intérêt à changer. Ça prendrait des circonstances exceptionnelles.»