100 ans du ministère des Transports -- 1912-2012 - L'émergence d'une politique routière

Le gouvernement de Lomer Gouin adopte en 1911 la Loi des bons chemins planifiant l’ouverture du territoire et balisant les investissements, après quoi il créera l’année suivante le ministère de la Voirie.
Photo: - Archives Le Devoir Le gouvernement de Lomer Gouin adopte en 1911 la Loi des bons chemins planifiant l’ouverture du territoire et balisant les investissements, après quoi il créera l’année suivante le ministère de la Voirie.

Avant les Transports, il y eut la Voirie, mais l'objectif de rendre accessible le territoire est demeuré le même. Le 3 avril 1912, le gouvernement de la province de Québec créait un nouveau ministère qui allait participer à la modernisation du Québec. Au cours des prochains jours, Le Devoir vous propose un tour d'horizon des 100 ans du ministère des Transports et certains enjeux qui l'attendent pour les décennies à venir. Aujourd'hui, la première partie d'un coup d'œil historique.

Au tournant du XXe siècle, le réseau routier qui traverse le Québec est dans un état pitoyable. En cela, il se compare aux routes qui sillonnent l'Ontario et les États-Unis. Un coup de barre est devenu inévitable d'autant plus que différents lobbys s'activent pour obtenir des routes carrossables.

Dès 1895, les producteurs de lait qui peinent à faire leurs livraisons fondent la Société des bons chemins qui réclame du gouvernement une véritable politique routière. Ce mouvement agricole voyait l'importance de voyager plus rapidement pour se rendre en ville vendre ses produits. Sensible à ce lobby économique, le gouvernement du libéral Félix-Gabriel Marchand se procure 63 «machines à chemin» dès 1898, question d'accélérer et d'uniformiser la construction des routes. Il s'agit de concasser la roche et d'aplanir les routes autrement qu'à bras d'homme.

Mais selon l'historien Jean Provencher, ce sont les cyclistes regroupés en association dès 1900 qui réussiront à faire bouger véritablement les autorités. En 1911, le gouvernement de Lomer Gouin adopte la Loi des bons chemins planifiant l'ouverture du territoire et balisant les investissements. L'année suivante, il crée le ministère de la Voirie devenu, 100 ans plus tard, le ministère des Transports.

«Ça peut nous paraître étonnant aujourd'hui, mais ce sont les cyclistes qui ont poussé dans le dos des gouvernements, ici comme aux États-Unis, pour avoir de belles routes. Il faut se rappeler qu'il s'agissait de gens aisés qui se plaignaient de briser leurs vélos qui valaient une petite fortune. À l'époque, les gens de condition modeste n'avaient pas de bicyclette», raconte Jean Provencher.

«Notre province n'est pas dans une situation arriérée», note le premier ministre de la Voirie, Joseph-Édouard Caron, dans son rapport annuel présenté au lieutenant-gouverneur en 1912. Mais, écrit-il, «l'intérêt qui s'attache à la question des bons chemins justifiait amplement le gouvernement de créer un service spécial pour cette branche de l'administration». Il se félicite d'ailleurs que la «propagande» gouvernementale fait de plus en plus d'adeptes. «Nous voyons venir rapidement le jour où la minorité récalcitrante sera submergée par la majorité progressiste, où le partisan du mauvais chemin sera aussi rare que pourrait l'être actuellement un adversaire de l'industrie laitière.»

Les débuts du nouveau «département», comme on le disait à l'époque, se sont surtout concentrés sur le développement de nouvelles routes et la macadamisation (le macadam étant trois couches successives de roches compactées). Mais les problèmes de gestion et du manque d'encadrement des travaux apparaissent rapidement. Le ministère embauchera des inspecteurs qui parcourront la province afin «d'entraîner et d'instruire les travailleurs», quitte à se mettre eux-mêmes au pic et à la pelle.

Mais le développement du réseau demeure lent. L'arrivée du libéral Joseph-Léonide Perron à la tête de la Voirie en 1921 donne un véritable élan au secteur. Rapidement, il annonce la multiplication de grands projets routiers, prend sous sa responsabilité les routes importantes qui relevaient jusque-là des municipalités, procède au classement des routes provinciales, augmente les taxes du camionnage lourd et crée un programme d'entretien et de réfection. Il jongle même avec l'idée d'instaurer le monopole de l'essence pour remplir les coffres du gouvernement, mais il devra faire volte-face devant un lobby commercial bien organisé.

M. Perron veut des routes efficaces, mais qui attirent également les touristes. À cet égard, il prolonge la route des Laurentides jusqu'à Mont-Laurier et investit dans une route qui permettra de faire le tour de la Gaspésie. D'ailleurs, en 1930, le ministère de la Voirie publie le premier beau livre touristique du Québec: La Gaspésie. Histoire, légendes, ressources, beautés.

«Mais il faudra attendre le règne de Maurice Duplessis pour que le Québec entreprenne un véritable changement», note M. Provencher. Dans l'après-guerre, où l'auto devient la reine d'une Amérique prospère, les travaux vont s'accélérer.

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Le ministère des Transports de 1912 à 1952


3 avril 1912: Création du ministère de la Voirie, dont le titulaire est Joseph-Édouard Caron. Un an plus tôt, le gouvernement libéral de Lomer Gouin avait fait adopter la Loi des bons chemins qui servira d'assise pour investir dans l'ouverture du territoire. Deux semaines après avoir mis en place l'ancêtre du ministère des Transports, le premier ministre Gouin déclenche des élections générales au cours desquelles il défendra la Loi des bons chemins qualifiée de «petits bouts de chemins» par son adversaire conservateur, Joseph-Mathias Tellier.

1914: Les dépenses du ministère pour l'amélioration de la voirie atteignent 4,4 millions de dollars: 197 milles de gravelage et 550 milles de macadam. Au total, «il y a eu de l'ouvrage pour 7500 hommes pendant quatre mois, sans compter le revenu provenant de 4700 chevaux employés aux travaux», note le ministre Joseph-Adolphe Tessier dans son rapport annuel présenté au lieutenant-gouverneur de la province de Québec.

27 septembre 1921:
Lors du banquet célébrant sa nomination, le ministre de la Voirie, Joseph-Léonide Perron, présente sa vision d'avenir qui passe par de grands projets routiers: une route entre Lévis et Gaspé et une autre vers l'ouest, jusqu'à Saint-Lambert, une route entre Montréal et Sherbrooke et une autre qui se rendrait à Mont-Laurier, vers le nord, et finalement, une route pour se rendre à Ottawa. Aussitôt, les contributions d'entrepreneurs désireux de profiter de la manne affluent à la caisse libérale.

1925:
Construction d'un chemin carrossable qui ceinture la péninsule gaspésienne. La route 126 (aujourd'hui 132) sera longtemps appelée «boulevard Perron», du nom du ministre de la Voirie de l'époque.

1939:
Construction de la première autoroute, qu'on appelait alors «autostrade», de La Prairie jusqu'à la frontière des États-Unis.

1944: Construction de la route 175, d'abord surnommée «boulevard Talbot», du nom du ministre de la Voirie d'alors, Antonio Talbot, et qui traverse le parc des Laurentides pour se rendre à Chicoutimi.

1952: Début des travaux de l'autoroute métropolitaine qui traverse d'est en ouest l'île de Montréal. L'idée de doter Montréal d'une voie de contournement de son centre-ville remonte à 1929, mais il faudra attendre 1960 avant qu'elle soit en service.

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De l'argent et des hommes

Évolution des investissements routiers du ministère des Transports (en dollars constants)

1914: 4,4 millions
1960: 66 millions
1966: 300 millions
1999-2000: 679 millions
2004-2005: 939 millions
2009-2010: 2,9 milliards
2012-2013: *3,4 milliards

*Ne tient pas compte de la contribution du gouvernement fédéral et des municipalités

Nombre d'employés au sein du ministère des Transports

1912: 25 employés dont 3 ingénieurs et 4 inspecteurs
1915: 170 employés
2012: 7324 employés dont 56 % réguliers

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