Manifestation étudiante à Québec - Les gaz étaient-ils nécessaires?

Québec — Deux députés de l'Assemblée nationale, Denis Trottier et Amir Khadir, déplorent l'utilisation, hier, de gaz lacrymogènes par la Sûreté du Québec, devant le parlement, pour disperser les manifestants contre la hausse des droits de scolarité.
Même que le député de Québec solidaire compte aujourd'hui «demander des explications» aux responsables de la sécurité à l'Assemblée nationale. «On va rapporter ce qu'on a vu et suggérer de modérer les ardeurs de l'escouade antiémeute», a confié le député hier soir.M. Khadir a assisté à la manifestation hier, vers 16h30, devant la partie nord-est du parterre de l'hôtel du Parlement. Lorsque les leaders étudiants ont demandé à leur troupe de se disperser à 16h55 et de se rendre aux autobus, M. Khadir dit avoir franchi le cordon policier pour rentrer à son bureau, se disant que tout s'était globalement bien passé. «On n'était pas rendus à mi-chemin que tout d'un coup, on entend quelque chose détonner. On se retourne. Il y avait des gaz lacrymogènes! Je ne comprends pas pourquoi les policiers ont fait ça! Je déplore grandement leur attitude.» M. Khadir se demande si «l'escouade antiémeute n'est pas tombée dans une logique où il faut justifier sa présence en créant les conditions du grabuge. Je ne dis pas pour autant que c'est eux qui ont provoqué, mais la réaction était de toute évidence inappropriée pour tous les gens qui étaient là!»
En fait, une bousculade entre une rangée de policiers antiémeutes et des manifestants s'était produite entre la fontaine de Tourny et la tour centrale. De rares projectiles — des balles de neige et un bâton — ont été lancés vers les policiers. Quelques autres remous furent observés dans la partie nord-est. C'est d'ailleurs là que Le Devoir a observé les événements, dont l'utilisation d'une vingtaine de bombes de gaz par les policiers. Le député péquiste Denis Trottier (Roberval) se trouvait avec des journalistes. Ne faisant aucune distinction, les policiers antiémeutes de la Sûreté du Québec ont ordonné à ces derniers ainsi qu'au député de se déplacer. Alors que Le Devoir interviewait M. Trottier et s'identifiait avec sa carte d'accréditation, des policiers casqués et dotés de masques à gaz nous ont poussés vers les clôtures qui longeaient l'avenue Honoré-Mercier. «Moi, je pensais que j'allais être protégé par le corps policier... j'ai l'impression d'être attaqué plus qu'autre chose, agressé! En plus, c'est la première fois que je me faisais gazer dans ma vie», a alors déclaré M. Trottier. «C'est avec nos taxes qu'on te paie, là», a lancé le député, outré, à un des policiers qui le pressait avec son bouclier.
«Insurrection»
En tout, entre 7000 et 8000 personnes selon la CLASSE (Coalition large de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante) et entre 3000 et 5000 selon des sources policières ont marché dans les rues de Québec hier avant de converger vers le parlement. Le rassemblement s'était effectué devant le parc des Braves sur le chemin Sainte-Foy à partir de 14h, puis les manifestants ont déambulé vers leur destination finale en deux groupes.
Devant le parlement, c'est l'ancien leader étudiant Xavier Lafrance qui a pris la parole. C'est lui qui, en 2005, avait dirigé l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) dans son combat contre la décision du gouvernement Charest de transformer 105 millions de bourses en prêts étudiants. À l'époque, le gouvernement avait reculé, a-t-il insisté. Il a aussi expliqué que la résistance contre la hausse des droits de scolarité s'inscrivait dans les luttes des indignés grecs et espagnols. Une «lutte des classes et une lutte entre ceux qui sont en haut, les super riches, le patronat» contre les «travailleurs, le 99 %». Même si la capacité de créer de la richesse a augmenté, les salaires stagnent et les gouvernements haussent les droits de scolarité, a-t-il dénoncé. Cela participe d'une vision de la «marchandisation de l'éducation», a-t-il pesté avant de réclamer la gratuité scolaire. L'éducation «est un droit», a-t-il soutenu. Puis, il a rappelé l'article 35 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793, durant la Révolution française: «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus sacré des devoirs.» Aux yeux de M. Lafrance, les étudiants sont donc en droit de «faire monter la pression d'un cran», de multiplier «les blocages et les occupations».
«La décision est prise», martèle Beauchamp
De son côté, le gouvernement est resté sur ses positions, hier. La critique péquiste en matière d'éducation, Marie Malavoy, a qualifié la décision du gouvernement de hausser les droits de «mauvaise» et a exhorté la ministre Line Beauchamp à rencontrer les représentants étudiants. Mme Beauchamp a refusé: «La décision [d'augmenter les droits de scolarité], elle est prise parce que c'est une décision juste, responsable, raisonnable», a-t-elle martelé. En ce moment, a-t-elle argué, l'étudiant universitaire ne paie que 12 % de la valeur réelle de son diplôme. Au terme de la réforme qui fera augmenter les droits de 325 $ par session pendant cinq ans, ce chiffre sera de 17 % seulement, a-t-elle fait valoir. Et cela s'accompagnera d'une «bonification du régime d'aide financière». En tout, quelque 84 000 étudiants au Québec sont en grève pour s'opposer à cette hausse. Selon le coporte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, d'autres manifestations sont à prévoir. Selon Marie Malavoy, «l'entêtement de la ministre et du gouvernement dans son entier fait que la mobilisation va augmenter».