Le lockout peut libérer Rio Tinto Alcan de ses devoirs

Le texte de l'entente, qui compte 24 pages sans les annexes, confirme qu'Hydro-Québec est obligée d'acheter l'électricité, produite par les barrages de Rio Tinto Alcan, qui n'est plus utilisée par la société depuis le déclenchement du lockout des 780 travailleurs (sur la photo, en manifestation à Montréal le 18 février dernier). La société a réduit des deux tiers sa production à son usine d'Alma.
Photo: - Le Devoir Le texte de l'entente, qui compte 24 pages sans les annexes, confirme qu'Hydro-Québec est obligée d'acheter l'électricité, produite par les barrages de Rio Tinto Alcan, qui n'est plus utilisée par la société depuis le déclenchement du lockout des 780 travailleurs (sur la photo, en manifestation à Montréal le 18 février dernier). La société a réduit des deux tiers sa production à son usine d'Alma.

Québec — En vertu d'une entente secrète, Rio Tinto Alcan, après avoir décrété le 1er janvier un lockout de ses travailleurs à son usine d'Alma, peut invoquer un cas de force majeure pour déroger à ses obligations envers le gouvernement du Québec. Cette entente secrète, dont Le Devoir a obtenu copie, présente maints avantages financiers et fiscaux pour Rio Tinto Alcan contre l'obligation de maintenir son siège social à Montréal, de créer des emplois dans les usines modernisées et de maintenir certaines activités de recherche et développement.

Elle a été signée en décembre 2006 par Alcan, le gouvernement du Québec et Hydro-Québec et fut transférée à Rio Tinto après l'acquisition par le conglomérat australien de la société canadienne en juillet 2007. Cette entente, que le gouvernement Charest a refusé de rendre publique, accorde aussi un traitement spécial à Rio Tinto Alcan en cas de lockout.

Ainsi, sous la rubrique force majeure, l'entente stipule que «la partie affectée par un cas de force majeure voit ses obligations suspendues». Or la définition de force majeure, outre ce qui est normalement entendu comme tel, soit la guerre, l'insurrection, l'émeute ou le tremblement de terre, par exemple, comprend «conflit de travail, grève, piquetage ou lockout [chez la partie invoquant la force majeure]».

L'entente prévoit que Rio Tinto Alcan peut se soustraire à ses obligations dans la mesure seulement où elle agit avec diligence pour corriger les effets de la force majeure. Mais cette exigence ne s'applique pas à une situation de grève ou de lockout; dans ce cas, l'entreprise a les coudées franches. «Cependant, le règlement des conflits de travail, grève, piquetage et lockout est laissé à l'entière discrétion de la partie affectée qui fait face à ces difficultés», peut-on lire. L'entreprise peut donc elle-même créer la situation de force majeure sans avoir à y remédier.

Pour que ses obligations soient suspendues, Rio Tinto Alcan doit en aviser par écrit le gouvernement. On ne sait pas si la société lui a envoyé une lettre en ce sens. Rio Tinto Alcan n'a pas répondu à l'appel du Devoir hier, ni le cabinet du ministre du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, Sam Hamad. En revanche, l'entreprise a indiqué à La Presse au début de janvier qu'elle avait dû se résoudre à invoquer la force majeure pour justifier le non-respect de ses engagements envers ses clients.

Le texte de l'entente, qui compte 24 pages sans les annexes, confirme qu'Hydro-Québec est obligée d'acheter l'électricité, produite par les barrages de Rio Tinto Alcan, qui n'est plus utilisée par la société depuis le déclenchement du lockout des 780 travailleurs. La société a réduit des deux tiers sa production à son usine d'Alma.

Selon les termes de l'entente, Rio Tinto Alcan est à même de faire un profit substantiel avec cette vente d'énergie: Hydro-Québec doit payer le même tarif que Rio Tinto Alcan paie pour acheter de l'électricité de la société d'État, soit le tarif L de 4,5 ¢, alors que le coût pour l'entreprise avoisine 1 ¢.

Lors de la période de questions à l'Assemblée nationale hier, le député de Lac-Saint-Jean, Alexandre Cloutier, a demandé au ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Clément Gignac, si le lockout était prévu dans l'entente secrète. Jeudi dernier, le premier ministre Jean Charest avait affirmé au journal Le Quotidien que «Rio Tinto est un acheteur net d'énergie et lorsque nous avons conclu ces ententes, ce n'était pas dans une perspective d'une grève ou d'un lockout». Clément Gignac n'a pas répondu à la question du député péquiste, affirmant que «ce n'est pas vrai qu'au niveau politique, on va commencer à s'immiscer dans des contrats d'Hydro-Québec avec des sociétés commerciales selon l'évolution des relations de travail».

Un traitement fiscal sur mesure

L'entente assure à Rio Tinto Alcan un prêt sans intérêt de 400 millions remboursable dans 30 ans, une information qui avait déjà filtré dans les médias. Mais ce qu'on ignorait, c'est qu'en plus de cet important avantage financier, Rio Tinto Alcan bénéficie d'une «aide fiscale» de 112 millions. Dans l'entente, le gouvernement s'engage à apporter «des améliorations au régime fiscal des sociétés pour en accroître la compétitivité et conférer à Alcan des bénéfices fiscaux». Le montant de 112 millions est garanti: si les bénéfices fiscaux ne s'étaient pas concrétisés, le montant du prêt sans intérêt consenti à la société aurait été majoré d'autant. Les économies d'impôt provenaient du programme de congé fiscal pour projets majeurs.

Le producteur d'aluminium s'engageait à investir au moins 2 milliards dans une nouvelle usine à Saguenay (sur le site Arvida) ainsi qu'à augmenter la capacité d'usines à Alma et à Arvida. Cet investissement correspond à la création de 740 emplois que Rio Tinto Alcan ne s'engage à maintenir que pour une période de trois ans à compter du début des activités de chacun des projets.

En parallèle, la société peut éliminer des emplois en fermant des usines jugées vétustes. L'entente programmait la fermeture de quatre usines: Vaudreuil en 2008, Beauharnois en 2010, Shawinigan en 2012 et une section des installations d'Arvida en 2014. Dans les faits, l'usine de Beauharnois a fermé ses portes l'an dernier, l'usine Vaudreuil a survécu jusqu'ici, tandis que les deux autres installations doivent cesser leurs activités d'ici 2015 au plus tard.

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