Tunnel Viger: Québec rejette toute responsabilité

Le 31 juillet dernier, une poutre de 25 tonnes s’est écrasée sur la chaussée à l’entrée du tunnel Viger, entraînant dans sa chute des paralumes. L’accident n’a fait aucune victime.
Photo: Pedro Ruiz - Le Devoir Le 31 juillet dernier, une poutre de 25 tonnes s’est écrasée sur la chaussée à l’entrée du tunnel Viger, entraînant dans sa chute des paralumes. L’accident n’a fait aucune victime.

Le ministère des Transports (MTQ) rejette toute responsabilité dans l'effondrement des paralumes survenu le 31 juillet dernier à l'entrée du tunnel Viger de l'autoroute Ville-Marie, et ce, malgré sa décision de confier au secteur privé la large majorité de ses travaux d'ingénierie. Les experts embauchés par le MTQ concluent que sur le plan technique, c'est le consortium CIMA+/Dessau/SNC-Lavalin qui est fautif.

Ainsi, le ministre des Transports, Pierre Moreau, a annoncé hier que des procédures judiciaires seront intentées contre les trois firmes de génie afin de réclamer les dommages directs résultant de cet accident «qui a mis en jeu la vie des usagers du réseau». Le montant de la compensation liée aux travaux d'urgence réalisés qui sera exigée reste à déterminer; il est question de «plusieurs millions de dollars».

Avant de rendre public le rapport des experts, M. Moreau a livré sa version des faits, écartant l'implication de son ministère dans ce qui a mené à l'accident. L'été dernier, le MTQ reconnaissait que ses ingénieurs n'avaient jamais vérifié les plans avant l'ouverture du chantier. «Le but du ministère, c'est de réaliser les travaux. Que le travail soit fait par son personnel ou par celui d'une firme privée, ce n'est pas important», expliquait un porte-parole du MTQ cité par le Journal de Montréal.

Pour Pierre Moreau, il est clair que «la faute première appartient à celui qui reçoit un mandat». De plus, le ministre a également souligné que «cet événement a eu des conséquences négatives sur l'image du ministère des Transports, mais surtout, sur la confiance des citoyens du Québec à l'égard des infrastructures de transport».

Selon le critique de l'opposition officielle en matière de transport, le député péquiste Nicolas Girard, la perte d'expertise au sein du MTQ n'est pas étrangère au problème du tunnel Viger. «Il est temps de reprendre les clés de la maison qu'on a laissées au privé», a-t-il déclaré sur les ondes de RDI.

Conception inappropriée

Sur le plan technique, le MTQ soutient que la conception des réparations à effectuer était «inappropriée», non conforme au Code canadien sur le calcul des ponts routiers et «n'offrait pas la résistance requise pour supporter les charges en cause».

L'effondrement s'est produit alors que des travaux d'hydrodémolition (technique offrant l'avantage de la rapidité d'exécution, selon les experts) étaient en cours. Une poutre de 25 tonnes s'est écrasée sur la chaussée, entraînant dans sa chute des paralumes (pièces de béton ajourées permettant une transition sécuritaire des automobilistes sortant de l'obscurité du tunnel vers la lumière extérieure ou l'inverse). L'accident n'a fait aucune victime. L'entrepreneur Laco Construction, qui réalisait les travaux, n'est pas blâmé, les travaux étant «conformes aux plans et devis», souligne-t-on dans le rapport.

Invitées à commenter le dossier, les firmes de génie visées se sont montrées prudentes. Chez CIMA+, on a souligné que l'entreprise prendrait d'abord le temps de lire le rapport d'analyse avant de prendre la parole. Chez Dessau, on s'est borné à souligner que son rôle au sein du consortium était la gestion de la circulation. Du côté de SNC-Lavalin, chargée de la conception mise en cause, aucun commentaire n'a été formulé, en raison des procédures civiles engagées.

Malgré la «faute commise» par ces trois importantes firmes de génie-conseil, le MTQ entend bien poursuivre ses liens d'affaires avec elles. Le ministre Moreau croit que des corrections seront apportées au sein des équipes d'ingénierie. «Quand il y a une faute médicale qui est commise par un médecin dans un hôpital, on ne ferme pas l'hôpital», a-t-il expliqué en guise d'analogie.

D'ailleurs, CIMA + et SNC-Lavalin travaillent en consortium dans le gigantesque projet de reconstruction du complexe Turcot. Ces deux firmes ont raflé trois importants contrats déterminant les besoins du ministère, y compris l'estimation des coûts. Dessau et sa filliale LVM ont également participé aux travaux préparatoires.

Outre la poursuite contre les partenaires du consortium, le MTQ a demandé au syndic de l'Ordre des ingénieurs d'instituer une enquête. Il s'agira de vérifier la responsabilité professionnelle des ingénieurs mêlés à la préparation des plans et devis.

Par ailleurs, l'enquête policière menée dans ce dossier n'a pas mis au jour de négligence criminelle.

Lorsque l'effondrement s'est produit, le ministre de l'époque, Sam Hamad, avait alors affirmé que «toutes les routes ouvertes sont sécuritaires». Les réactions de M. Hamad et sa gestion du dossier ont été vivement critiquées. Quelques semaines plus tard, alors que le rapport de Jacques Duchesneau de l'Unité anticollusion du MTQ venait d'être déposé (il ne sera toutefois coulé qu'à la mi-septembre), lequel allait entre autres dénoncer la mainmise du privé sur les décisions du MTQ, le premier ministre Jean Charest procédait à un remaniement ministériel, remplaçant M. Hamad par Pierre Moreau. Depuis, les communications politiques sont plus encadrées.

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