Jacques Duchesneau est congédié

Jacques Duchesneau a témoigné devant une commission parlementaire de l’Assemblée nationale, le 27 septembre dernier. À cette occasion, il avait repris son discours de l’automne 2009 sur la nécessité d’une enquête publique sur l’industrie de la construction en proposant toutefois une formule modifiée, comprenant une grande partie à huis clos.
Photo: Agence Reuters Mathieu Bélanger Jacques Duchesneau a témoigné devant une commission parlementaire de l’Assemblée nationale, le 27 septembre dernier. À cette occasion, il avait repris son discours de l’automne 2009 sur la nécessité d’une enquête publique sur l’industrie de la construction en proposant toutefois une formule modifiée, comprenant une grande partie à huis clos.

Après avoir découvert et décrit «un univers clandestin et bien enraciné, d'une ampleur insoupçonnée» dans son rapport qui a forcé le gouvernement Charest à mettre sur pied une commission d'enquête, Jacques Duchesneau s'est fait montrer la porte hier. Le directeur de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), Robert Lafrenière, l'a congédié pour avoir manqué de «loyauté».

L'UPAC a mis fin au contrat de M. Duchesneau, qui dirigeait l'Unité anticollusion du ministère des Transports depuis février 2010. Une rencontre a eu lieu hier matin entre Robert Lafrenière et M. Duchesneau. Une lettre expliquant les motifs de la résiliation du contrat a été transmise à ce moment.

Compte tenu des déclarations publiques de M. Duchesneau concernant la vision de la direction de l'UPAC, il n'y avait «pas d'autre choix», a soutenu la porte-parole Anne-Frédérick Laurence. En entrevue à La Presse le mois dernier, M. Duchesneau a livré le fond de sa pensée sur l'organisme auquel son unité était désormais associée: «L'UPAC, c'est pas fort. Ils pensent police. Il faut regarder le problème avec une lunette autre que policière et judiciaire.

On oublie l'administratif. Et ce n'est pas un policier qui devrait être à la tête de l'UPAC, mais plutôt un juge à la retraite comme John Gomery.»

Mme Laurence, de l'UPAC, a mentionné que Robert Lafrenière estime que M. Duchesneau a ainsi manqué de «loyauté».

La décision tombe alors que Jacques Duchesneau avait lui-même décidé de se retirer. Sa lettre de démission était déjà prête au moment où son rapport a fait l'objet d'une fuite à Radio-Canada, avait-il mentionné au Devoir. Elle s'intitulait «Je ne démissionnerai pas», marquant ainsi l'importance pour lui de poursuivre la lutte amorcée. M. Duchesneau considérait qu'il était la voix des victimes du système de collusion et de corruption.

M. Duchesneau avait été embauché en février 2010 comme patron de l'Unité anticollusion au ministère des Transports. Dans les mois précédents, Le Devoir avait démontré que le MTQ abandonnait une large part de ses responsabilités entre les mains des firmes de génie-conseil.

Pendant 18 mois, lui et son équipe d'enquêteurs ont analysé le processus d'octroi de contrats du MTQ et recueilli le témoignage de 500 personnes. Son rapport a eu l'effet d'une bombe.

Le 6 septembre dernier, l'unité de M. Duchesneau avait été englobée dans l'UPAC. Elle avait vu son mandat élargi, mais avait été placée sous les ordres du directeur des opérations de l'UPAC, Gilles Martin.

Une dizaine de jours après ce rattachement à l'UPAC, Radio-Canada mettait la main sur le rapport de M. Duchesneau. Cette fuite a forcé le gouvernement à réagir. Le premier ministre Jean Charest a d'abord tenté de banaliser ce rapport, avouant même ne pas l'avoir lu. Quelques jours plus tard, il se ravisait et parcourait le document.

Jacques Duchesneau a comparu le 27 septembre en commission parlementaire où il avait repris son discours de l'automne 2009 sur la nécessité d'une enquête publique sur l'industrie de la construction en proposant toutefois une formule modifiée, comprenant une grande partie à huis clos.

Quelques heures après son témoignage, M. Duchesneau donnait son point de vue sur la structure et la direction de l'UPAC, ce qui a vraisemblablement ulcéré le grand patron Lafrenière. Ce dernier a d'ailleurs tenu quelques jours plus tard une conférence de presse visant à tracer un bilan des six premiers mois de l'UPAC. Il a alors exprimé son mécontentement. Il avait aussi à ce moment-là annoncé qu'il souhaitait rencontrer M. Duchesneau dans le but d'avoir avec lui une discussion «franche».

Par la suite, M. Duchesneau est parti en vacances qui étaient, selon lui, prévues depuis longtemps et liées au mariage de son fils à l'étranger. Mais depuis son retour au pays, les vacances de M. Duchesneau, qui devaient ne durer que deux semaines, s'allongeaient.

Le contrat de l'ancien patron du Service de la police de la ville de Montréal (SPVM) prenait fin en mars prochain. À l'article 2 du contrat d'embauche de M. Duchesneau, signé le 19 mars 2010 et dont Le Devoir avait obtenu copie à l'époque, on pouvait lire: «Le présent contrat est consenti pour une période de vingt-quatre (24) mois, renouvelable pour une période de douze (12) mois à la demande du ministre, débutant à la signature du contrat par les deux parties.»

Le salaire annuel de M. Duchesneau s'établissait à 203 942 $. Il avait aussi reçu un montant forfaitaire de 25 000 $ comprenant «tous les frais directs et indirects pour les travaux de préparation de l'unité».

Dutil, muet mais responsable?

Le ministre de la Sécurité publique Robert Dutil a indiqué hier qu'il ne fera aucun commentaire, invoquant l'indépendance de l'UPAC. Toutefois, dans le contrat de M. Duchesneau la clause prévoyant sa résiliation faisait du ministre des Transports le responsable de toute résiliation ou suspension. «Le ministre se réserve également le droit de résilier ce contrat sans qu'il soit nécessaire pour lui de motiver la résiliation», peut-on lire à l'article 12.2. Fait à noter, aucune indemnité n'était prévue: «Le contractant aura droit aux frais, déboursés et sommes représentant la valeur réelle des services rendus jusqu'à la date de la résiliation du contrat [...] sans autre compensation ni indemnité que ce soit, et ce, à la condition qu'il remette au ministre tous les travaux déjà effectués au moment de la résiliation.»

À l'UPAC hier, on refusait de donner quelque détail que ce soit sur les modalités de départ de M. Duchesneau. Anne-Frédérik Laurence s'est bornée à dire que cela avait «été fait selon les règles de l'art».

Réactions des oppositions

Ce congédiement a suscité des critiques. Le député péquiste Stéphane Bergeron, porte-parole en matière de sécurité publique, s'est dit surpris et choqué par cette décision. Il croit que M. Duchesneau vient d'être congédié «pour avoir trop parlé et indisposé le gouvernement libéral». M. Bergeron soutient que déjà, l'UPAC peine à recruter du personnel depuis sa mise sur pied en mai 2011. «Il est pour le moins étonnant qu'elle se paie le luxe de mettre à la porte le chef de l'Unité anticollusion [...]. C'est un drôle de message, car rien n'est réglé, loin de là», a poursuivi le député de Verchères.

Dans un communiqué, le député de Québec solidaire Amir Khadir a eu ces mots: «L'UPAC reproche à M. Duchesneau son manque de loyauté. Or, M. Duchesneau a fait preuve d'une grande loyauté envers le Québec. On souhaiterait en voir autant de la part de tous les détenteurs de charges publiques, notamment du premier ministre.»  

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