Monique Jérôme-Forget au Devoir - Le génie-conseil a tué les PPP

Québec — Les partenariats public-privé (PPP) permettent d'éviter ce que décrit le rapport Duchesneau, c'est-à-dire «fraude», «extras» et «dépassement de coûts», soutient Monique Jérôme-Forget. C'est pour cette raison que les firmes de génie-conseil ont fait un «gros lobby» auprès du gouvernement Charest et l'ont convaincu d'arrêter de faire des PPP, a confié au Devoir l'ancienne ministre des Finances.
«Pourquoi pensez-vous que toutes les firmes étaient contre moi? Et qu'elles se sont arrangées pour convaincre le gouvernement que ce n'était pas bon. Elles savaient qu'avec ça [les PPP], tu ne peux pas frauder», a déclaré celle qui a été ministre responsable des Infrastructures jusqu'à sa démission en avril 2009 (alors qu'elle venait d'être réélue en décembre 2008). «Les PPP, ça sauve la fraude. Et les dépassements de coûts. Ce qui fait que les ingénieurs n'aiment pas ça», peste-t-elle avant de lâcher «ils ont fait tellement un gros lobby».Pourquoi les arnaques seraient-elles plus ardues avec les PPP? «Il y a trop d'intervenants. Tout se sait, tout se suit, il y a des témoins dans tout. C'est pas par hasard que moi, j'aimais ça!», dit celle qui se décrit comme étant plus «catholique que le pape» en matière de contrats publics. «Jamais personne ne m'a offert une cenne. Ils savaient qu'ils ne pouvaient pas le faire avec moi», lance-t-elle.
Un des avantages du PPP, selon elle, fait que le financement est privé. «Ça signifie que les firmes qui réalisent le projet, eh bien, elles sont responsables! Si elles sont responsables, ben devinez quoi? Elles vont surveiller leur affaire! Pis si elles veulent donner des pots-de-vin au monde, ben j'ai des nouvelles à leur apprendre, nous autres [l'État] ça ne nous coûte pas plus cher. C'est elles qui le paient, le pot-de-vin!»
Autre «avantage d'actualité», aux yeux de l'ancienne ministre, le PPP met les firmes davantage en concurrence. Avec les PPP, «non seulement il y a une concurrence internationale, mais une concurrence locale accrue également». Si une entreprise veut faire partie du consortium, elle peut perdre le contrat «si elle se comporte mal». L'ancienne ministre a d'ailleurs en tête des exemples de firmes québécoises qui ont perdu «plein de PPP» ailleurs dans le monde et au Canada anglais parce qu'elles se sont mal comportées. Dans la réalisation du pont de la 25 en mode en PPP, «il y a des firmes au Québec qui ont perdu» devant des firmes étrangères regroupées en consortium; certaines faisaient partie du consortium.
La fin des PPP
Peu de temps après la démission de Mme Jérôme-Forget en 2009, sa successeure, Monique Gagnon-Tremblay, déclarait que les PPP n'étaient pas une «religion» pour le gouvernement Charest. Le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, publiait un rapport très critique sur les études qui avaient conduit le gouvernement à choisir les PPP dans le cas des hôpitaux universitaires de Montréal, le CUSM et le CHUM. L'Agence des PPP mise en place en 2003 était démantelée peu de temps après. Les firmes de génie-conseil n'étaient pas les seules à remettre en question ce mode de réalisation dans certains projets bien connus: l'Ordre des architectes, l'Ordre des ingénieurs, la Corporation des entrepreneurs généraux et l'Association des économistes du Québec avaient par exemple soutenu que bâtir un hôpital universitaire et l'échangeur Turcot en PPP n'était pas souhaitable.
Des dépassements, «toutes les semaines»
Monique Jérôme-Forget, elle, se souvient de son arrivée à la tête du Conseil du trésor comme présidente, en 2003. «Toutes les semaines, il y avait des dépassements de coûts. Ce n'est pas parce qu'il manque de personnel...» Préoccupée par ce phénomène, elle a demandé des études afin de «régler le problème». Or, pour «régler le problème» selon elle, il valait mieux planifier davantage les projets avant de les commencer. Autre vertu des PPP. «La pépine... Vous vous rappelez la pépine? Le syndrome de la pépine?», lance Mme Jérôme-Forget en rappelant une formule qui avait fait florès dans ses discours de ministre teintés de féminisme. «Le PPP retarde la pépine. On ne peut pas commencer tant qu'on n'a pas tout bien attaché!»
Dans plusieurs projets en mode traditionnel, les appels d'offres étaient douteux, se souvient-elle. «Moi, ça me fatiguait beaucoup. Et j'ai retourné plein de projets parce que je disais: "Ouvrez! Retournez en appel d'offres!"»
Pas d'extras
Or, avec les PPP, plaide-t-elle encore, «impossible d'aller chercher des extras». «Extra»: le terme, courant au ministère des Transports et popularisé par le rapport Duchesneau, désigne ces sommes supplémentaires de plusieurs pourcentages par rapport à la somme initialement prévue lors de l'attribution du contrat et que les entreprises de constructions réclament régulièrement une fois le projet entamé. Il est toutefois arrivé, au cours de la réalisation des quelques PPP qui ont été réalisés au Québec, que des sommes supplémentaires aient été payées. Mais ce n'était pas des «extras» à proprement parler, plaide celle qui est maintenant conseillère spéciale au bureau de Montréal du cabinet d'avocats Osler, Hoskin & Harcourt. Dans le projet de «l'Adresse symphonique» — aujourd'hui baptisée «Maison symphonique», inaugurée début septembre et réalisée en PPP —, «tout à coup, le premier ministre a dit: "je veux avoir plus de bois à l'intérieur de la salle", se souvient Mme Jérôme-Forget. Donc, ils ont ajouté quelque chose comme 5 millions. Mais c'était pour avoir du bois en plus. Pas pour le même projet. Pas pour payer des extras.» Autrement dit, le client lui-même avait modifié la commande initiale.