Peut-on faire de la politique différemment?

Photo: Illustration: Christian Tiffet - Le Devoir

Québec — Les démissionnaires péquistes, lundi, n'avaient pas de mots assez durs pour décrire la politique telle qu'elle se pratique actuellement. Leur principale cible: «La partisanerie qui souvent rend aveugle, qui nous force à toujours être dans la certitude, jamais dans le doute», dénonça Louise Beaudoin. L'ancienne ministre péquiste et maintenant députée indépendante de Rosemont condamnait «le ton guerrier que l'on se croit obligés d'employer», «la manière de se comporter avec des adversaires que l'on a tendance à considérer comme des ennemis», «l'unanimisme imposé» et «la rigidité implacable de la ligne de parti». De tous ces maux, la politique, estimait-elle, «est en train de mourir ici et ailleurs».

À l'Assemblée nationale, l'injonction à faire de la politique «autrement» n'est pas passée inaperçue. Mais le naturel est revenu au galop lorsque le sujet a été abordé de manière... traditionnelle et «partisane» en Chambre, hier. Le leader parlementaire Jean-Marc Fournier a soutenu que les «nouvelles manières» de l'opposition se résumaient à «tirer de la boue», lancer des «calomnies» et des «allégations vicieuses». Le péquiste Nicolas Marceau répondit: «La nouvelle façon de faire de la politique, c'est de combattre la corruption!», suscitant un tonnerre d'applaudissements dans ses rangs.

D'autres théories ont été avancées. Certains croient par exemple que les nouveaux médias ouvrent un horizon de possibilités. Un brin utopique, le député péquiste Yves-François Blanchet, critique en matière de culture, affirmait jeudi que selon lui, «le franc-parler qu'imposent les médias sociaux est à la base même de la nouvelle façon de faire de la politique». Il alla jusqu'à dire: «Tu ne peux pas mentir en média social, tu ne peux pas tricher en média social. Et cette espèce de nouvelle contrainte-là est à la base même d'une nouvelle façon de faire de la politique.»

Les technologies, même les plus évoluées, permettront-elles de changer la politique du tout au tout? Les intrigues, les tensions, les ralliements et même le réflexe de se serrer les coudes, qui ont de tout temps fait partie de la politique, seront-ils évitables grâce à Twitter? Machiavel doit-il être révisé?

Si le grand spécialiste des relations internationales Hans Morgenthau (1904-1980) a raison, il y a peu d'espoir: «La nature humaine, dans laquelle les lois de la politique ont leurs racines, n'a pas changé depuis le temps où les philosophes classiques de la Chine, de l'Inde et de la Grèce ont tenté de découvrir ces lois.»

Responsabilité et conviction

Le sociologue allemand Max Weber (1864-1920) a distingué deux manières de faire de la politique qui semblent toujours présentes: l'une est mue par l'«éthique de responsabilité», l'autre par l'«éthique de la conviction».

Cette dernière, basée sur les «convictions», écrit Weber, peut s'illustrer par «un langage religieux»: «Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l'action, il s'en remet à Dieu.» Par exemple, aux élections américaines de 2000, le slogan du candidat vert Ralph Nader était «Votez selon vos convictions». Selon plusieurs, il est passé à l'histoire comme celui qui a nui au candidat démocrate Al Gore et aidé le républicain George Bush, qui a été élu. L'«éthique de la responsabilité» commande au contraire ce qui suit: «Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes.» On l'associe souvent à une approche machiavélienne (et non machiavélique), donc «réaliste» de la politique. Évidemment, les cloisons ne sont pas étanches entre les deux. Il ne faut pas conclure, insiste Weber, «que l'éthique de conviction est identique à l'absence de responsabilité et l'éthique de responsabilité à l'absence de conviction».

Partisanerie

Certains diront que Pauline Marois a rétorqué hier aux critiques de ses démissionnaires sur la «partisanerie» avec une «éthique de la responsabilité». La chef péquiste a usé d'une tautologie: «Faire de la politique partisane, c'est de porter son projet de parti. [...] Or, on a des idées différentes, donc on défend les idées de notre parti.»

Quant à Jean Charest, ce disciple de Sun Tzu (célèbre auteur chinois de L'Art de la guerre), il a défendu hier la manière dont le Parti libéral avait fonctionné dans le dossier de la loi 204 sur l'entente Labeaume-Quebecor, c'est-à-dire en conservant les débats à huis clos et en projetant une image d'unité: «Chez nous, les gens sont du même avis. Nous appuyons la loi. On a eu nos discussions à l'intérieur de notre caucus comme nous en avons l'habitude. Et les gens sont en appui à cette loi-là.»

Mais il y a partisanerie et partisanerie. Le philosophe Michel Seymour, de l'Université de Montréal, a déjà eu cette réflexion: «On croit que, si des prises de position sont partisanes et suscitent la controverse, elles ne peuvent en même temps être justes. Selon cette perspective, avoir un parti pris, c'est automatiquement se priver d'un regard objectif et lucide.» Et pourtant, conclut-il, «une position peut être juste même si elle suscite la controverse. L'attitude partisane peut être éclairée, et la vérité peut être partisane. Il faut être partisan de la vérité, y compris en politique».

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