Négocier? Trop tard!

À 13h pile hier, «la mort dans l’âme», les procureurs de la Couronne regagnaient leur bureau, comme le leur imposait la loi spéciale édictée par Québec.
Photo: - Le Devoir À 13h pile hier, «la mort dans l’âme», les procureurs de la Couronne regagnaient leur bureau, comme le leur imposait la loi spéciale édictée par Québec.

Ulcérés et humiliés par l'imposition de la loi spéciale, les procureurs ont rejeté hier l'invitation «odieuse» du gouvernement à négocier et réclament plutôt la démission du directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Louis Dionne, qui n'a plus leur confiance.

«Les procureurs ne comprennent pas pourquoi Louis Dionne n'a pas pris la parole pour défendre l'institution et ça fait en sorte que le lien de confiance est brisé», a déclaré en matinée hier le président de l'Association des procureurs en poursuites criminelles et pénales (APPCP), Me Christian Leblanc. Quelque 90 minutes auparavant, la majorité libérale, au terme d'un débat qui a duré toute la nuit, a permis l'adoption du projet de loi 135 ordonnant le retour au travail des 450 procureurs de la Couronne et des 1000 juristes de l'État.

Au dernier décompte du DPCP hier, 6 des 14 procureurs en chef avaient envoyé une lettre de démission à Louis Dionne pour redevenir simple procureur et 25 des 36 procureurs en chef adjoints ont fait de même, soit un total de 31 cadres sur 50. Ces cadres ont perdu confiance dans le DPCP, à l'instar de leurs collègues, les procureurs en grève, estime Me Leblanc.

Les procureurs s'expliquent mal pourquoi Louis Dionne s'est retrouvé du côté du Conseil du trésor lors des négociations. Tout en rappelant que le DPCP doit préserver l'indépendance de l'institution judiciaire envers le pouvoir exécutif, l'APPCP dénonce le lien d'emploi que maintient Me Dionne avec le Conseil exécutif: quand Me Dionne décidera de quitter ses fonctions, il est assuré d'un poste au même salaire au sein du ministère du premier ministre.

Lundi, Louis Dionne a refusé d'accepter de «reclasser» les procureurs en chef qui avaient perdu confiance en lui. Hier, il a refusé de démissionner, bien qu'il reconnaisse être au centre d'une tourmente. «En pleine tempête, un capitaine ne quitte pas son navire», écrit-il dans son communiqué. Il soutient qu'il a «fait valoir avec ardeur» les «problèmes importants» de l'organisme qu'il dirige depuis quatre ans.

Tôt hier matin à l'Assemblée nationale, tant la présidente du Conseil du trésor, Michelle Courchesne, que le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, ont convié les procureurs à poursuivre les négociations. Il ne s'agit pas de discuter de rattrapage salarial, a précisé plus tard Jean-Marc Fournier. On veut discuter de mesures visant à améliorer les conditions de travail, dont des primes que pourraient toucher certains procureurs.

Retour au travail

«C'est particulièrement odieux de dire aux procureurs de la Couronne, après leur avoir imposé une loi spéciale: "Maintenant qu'on vous a retiré tout moyen de pression, tout rapport de force, maintenant que vous êtes à la totale merci de l'employeur, venez vous asseoir, pour une fois, on va négocier de bonne foi"», a livré amèrement Me Leblanc, qui a donné l'assurance que les procureurs rentreront au travail à 13h, comme l'ordonne la loi, «la mort dans l'âme» toutefois.

À 13h pile, les procureurs du district judiciaire de Montréal se sont mis en rang pour regagner leur bureau en silence. «Il n'y aura pas de grève de zèle. Il n'y aura pas de ralentissement délibéré du système», a dit Sonia Lebel, porte-parole de l'APPCP.

Rappelons que les procureurs de la Couronne s'étaient réjouis de la création du DPCP en 2004. À la suite des frasques de l'ex-ministre de la Justice, Marc Bellemare, dont le zèle interventionniste avait failli provoquer l'avortement du premier mégaprocès des Hells Angels, ils avaient insisté pour que Québec sépare les fonctions de ministre de la Justice et de Procureur général.

La formule retenue par les libéraux les a vite fait déchanter. Selon John-Denis Gerols, porte-parole de l'APPCP, le Directeur des poursuites criminelles et pénales aurait dû relever de l'Assemblée nationale, comme le Vérificateur général, et non du ministre de la Justice.

«On peut donner un nom, des apparences et une façade au Directeur des poursuites criminelles et pénales, mais en réalité, il n'est pas indépendant du ministère de la Justice. Il n'est qu'un servile exécutant. Ce n'est pas dans l'intérêt de la justice qu'il continue [son mandat]», estime Me Gerols.

Hier, la chef de l'opposition officielle, Pauline Marois, n'a pas réclamé la tête de Louis Dionne, une question, selon elle, «très délicate». En revanche, la leader parlementaire de l'Action démocratique du Québec, Sylvie Roy, croit qu'il doit démissionner parce qu'«il ne comprend pas son rôle».

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