Corruption: l'escouade Marteau s'active en Montérégie

Le monde municipal de la Montérégie est dans la mire de l'escouade Marteau pour des questions de corruption et de collusion. Le maire de la petite ville de Saint-Rémi et préfet de la MRC les Jardins-de-Napierville, Michel Lavoie, est visé par l'enquête des policiers, a appris Le Devoir.
Au moins deux dossiers soulèveraient des doutes sur l'intégrité de M. Lavoie et de son entourage: la construction d'une résidence pour personnes âgées sur le territoire de la municipalité et la construction de la caserne de pompiers de Saint-Rémi. Pour tenter de faire la lumière, l'escouade Marteau a procédé en juillet dernier à des perquisitions, notamment à la résidence du maire Lavoie et à l'hôtel de ville de Saint-Rémi. Comme l'indiquent les documents de dénonciation rédigés par les policiers afin d'obtenir un mandat de perquisition, les dossiers laissent voir un réseau d'influence important.Le projet de résidence pour personnes âgées à Saint-Rémi a été réalisé par Développement B&L. L'entreprise est dirigée par Yvon Boyer, qui a été accusé le printemps dernier d'avoir tenté de corrompre un fonctionnaire de la Ville de Québec. M. Boyer aurait versé un pot-de-vin de 5000 $ afin d'accélérer le projet immobilier La Seigneurie de Beauport, mais le fonctionnaire a porté plainte.
M. Boyer, qui a travaillé jusqu'en 2007 aux côtés de l'entrepreneur Tony Accurso à titre de vice-président de Construction Marton, aurait «donné des avantages à des fonctionnaires municipaux, sous forme d'emplois et de contrats dans le but d'obtenir de leur part des privilèges en matière de développement immobilier» à Saint-Rémi, peut-on lire dans les documents de la police.
Ainsi, Développement B&L a acheté un terrain à Saint-Rémi dont le propriétaire, Construction Dorais, est un partenaire d'affaires du maire Michel Lavoie.
Le projet a nécessité des dérogations au plan d'urbanisme qui ont été obtenues sans problème.
L'entreprise de M. Boyer a installé un bureau de ventes et de location dans un édifice appartenant à la conjointe du maire Lavoie. Pour procéder à la vente ou à la location des futurs condos, Yvon Boyer a embauché une conseillère municipale, Louise Trudeau-Lefrançois. Aujourd'hui, Mme Trudeau-Lefrançois est la directrice générale de la résidence, appelée Domaine Saint-Rémi.
Le fils de Mme Trudeau-Lefrançois, Martin Lefrançois, a obtenu le contrat d'excavation du terrain. Et c'est l'entreprise appartenant au maire, Transport M.J. Lavoie, qui a évacué les débris.
En avril dernier, la Sûreté du Québec a perquisitionné les bureaux de Développement B&L. Le serveur de la compagnie est entre les mains des policiers.
Caserne
Un autre dossier intéresse particulièrement les enquêteurs de l'escouade Marteau. Il s'agit de la construction de la caserne de pompiers, réalisée en 2008. La Ville de Saint-Rémi a accordé le contrat à Construction Dorais, dont les dirigeants sont liés au maire Lavoie. L'appel d'offres public a été lancé «à la demande du maire [...] la veille des vacances de la construction» pour une durée de seulement une semaine, ce qui est «nettement contraire» à la façon de faire habituelle, notent les policiers.
L'estimation des coûts faite par la municipalité s'établissait alors à 900 000 $ pour ériger l'édifice. Deux soumissions ont été reçues, l'une de Construction Dorais (1,27 million), et l'autre de Construction de Castel (1,4 million). Construction Dorais a obtenu le contrat selon la règle du plus bas soumissionnaire. Les policiers ont toutefois eu accès à des informations privilégiées leur permettant de croire qu'il y aurait eu collusion entre ces deux entreprises qui se seraient partagé le contrat de construction de la caserne de pompiers et celui du réaménagement de l'hôtel de ville.
Aussi, se sont ajoutés deux contrats, soit pour la peinture du plancher de béton de la caserne pour 3000 $ et la construction d'un cabanon pour une génératrice au coût de 10 000 $. Construction Dorais a fait ces travaux sans s'embarrasser du processus d'appel d'offres.
Par ailleurs, l'asphaltage du stationnement de la caserne a fait l'objet d'un appel sur invitation auprès des Pavages Chenail et de la firme Cintra. Seule l'entreprise Chenail a déposé une soumission. Elle a réalisé les travaux pour une somme de 86 000 $. Le mandat de perquisition souligne que Chenail et Dorais sont deux entreprises détenues par des amis du maire Lavoie.
Entreprises à numéro
Joint hier en fin d'après-midi, Michel Lavoie a dit se sentir «très à l'aise» de faire l'objet d'une enquête de l'escouade Marteau, bien que le ton sur lequel il a répondu aux questions du Devoir laissait paraître une certaine irritation. «On n'a rien à se reprocher», a-t-il déclaré.
M. Lavoie a d'abord réfuté quelque lien d'affaires que ce soit avec les dirigeants de Construction Dorais. Mais voilà que la déclaration des intérêts pécuniaires du maire indique la propriété d'entreprises à numéro. Vérification faite auprès du Registraire des entreprises du Québec, ces entreprises sont liées aux Immeubles Dorais, appartenant aux mêmes gestionnaires que Construction Dorais. Le maire Lavoie a finalement reconnu être copropriétaire avec les Immeubles Dorais du garage abritant son parc de camions.
«Je peux-tu gagner ma vie? Parce que tu es maire, tu ne peux plus travailler nulle part? J'ai aucun contrat avec la municipalité de Saint-Rémi. Le restant, je peux bien travailler avec les contracteurs de la place ou les entrepreneurs qui viennent bâtir et qui ont besoin de nos services. C'est de même que ça fonctionne», a soutenu Michel Lavoie.
Ce dernier dit avoir rencontré à quelques reprises les enquêteurs de l'escouade Marteau. Il souligne ne pas avoir besoin de la fonction de maire «pour brasser des affaires».
Michel Lavoie est maire de Saint-Rémi depuis 2005. Il a occupé les mêmes fonctions entre 1992 et 2000. Il est également préfet de la MRC les Jardins-de-Napierville, qui regroupe 11 municipalités de la Montérégie. En 2003, M. Lavoie a tenté sa chance sur la scène provinciale aux côtés de Mario Dumont, de l'Action démocratique du Québec. Il a mordu la poussière, se contentant d'une troisième place dans la circonscription de Huntingdon. Il demeure toutefois un contributeur assidu à la caisse adéquiste, avec près de 7000 $ versés depuis 2000. Il a également soutenu les libéraux pour près de 2000 $ au cours de la même période.