Choix des juges: Bourassa ne s'en mêlait pas

Québec — Contrairement à Jean Charest, Robert Bourassa «deuxième manière» laissait ses ministres de la Justice décider seuls des nominations à la Cour du Québec. Dans sa seconde période comme premier ministre libéral (1985-1993), M. Bourassa n'était pas consulté par ses ministres avant que ces derniers n'arrêtent leur choix et fassent leur recommandation au Conseil des ministres. Le premier ministre libéral ne demandait pas non plus des comptes à ses ministres, ont confirmé au Devoir plusieurs sources très bien informées.
Les souvenirs de l'ancien conseiller spécial de Robert Bourassa, Jean-Claude Rivest, confirment cette version des faits. «Je ne me souviens pas d'une conversation d'un ministre de la Justice avec Robert Bourassa sur cette question.»Le successeur de M. Bourassa, Daniel Johnson, avait perpétué cette façon de fonctionner, ce que La Presse rapportait vendredi. Ministre dans le bref gouvernement Daniel Johnson fils, Roger Lefebvre s'est rappelé avoir reçu une directive du premier ministre: les nominations de juges, c'était la «responsabilité du ministre de la Justice, qui doit soumettre au Conseil des ministres la conclusion à laquelle il est arrivé».
En Chambre hier, Pauline Marois a accusé de nouveau Jean Charest d'avoir modifié le mode de nomination des juges depuis son arrivée au pouvoir en 2003. Elle lui a reproché d'avoir occulté à trois reprises la semaine dernière ses «interférences» dans les nominations de Kathleen Weil. Cette dernière a révélé, lors d'une interview vendredi, qu'elle en discutait avec le premier ministre. «Pourquoi le premier ministre a-t-il attendu d'être démasqué par sa ministre de la Justice pour dire la vérité, pour dire qu'il était personnellement impliqué?» a pesté la chef péquiste.
Jean Charest a répliqué par l'ironie, soutenant que ses discussions avec Mme Weil étaient tout à fait normales: «Je vais peut-être étonner la chef de l'opposition officielle, a-t-il dit, mais je suis le premier ministre du Québec, je fais partie du Conseil des ministres et je fais partie du processus de décision.» Il a qualifié d'«absurdité» la possibilité que le premier ministre du Québec ne doive «pas participer aux décisions du Conseil des ministres».
Charest cite Dumont et Brassard
Lorsque Gérard Deltell, de l'ADQ, lui a demandé s'il s'était ingéré dans le processus de nomination lorsque les Jacques Dupuis (2004-2005, 2007-2008) et Yvon Marcoux (2005-2007) ont détenu ce portefeuille, il a répondu de manière ambiguë en citant l'ancien chef de l'ADQ Mario Dumont. Ce dernier a soutenu qu'«un premier ministre doit tout savoir». Plus tôt, aux péquistes, il avait rétorqué avec délectation en citant le blogue de Jacques Brassard (blogjacquesbrassard.blogspot.com). L'ancien ministre et ancien leader parlementaire du Parti québécois y remettait en question, dans un texte paru hier, la thèse selon laquelle le premier ministre ne devait pas discuter, avec le ministre de la Justice, des candidatures retenues par le comité de sélection: «Allô! Retour sur Terre! Les juges sont nommés par un décret du Conseil des ministres, et le PM ne serait pas au courant des noms des personnes aptes à devenir magistrat? Franchement! La tribu des scribes oublie juste un tout petit détail: le PM, c'est le chef du gouvernement! Et si un député (ou un ministre) est informé qu'un avocat qu'il connaît bien et qu'il estime compétent a postulé pour accéder à la magistrature, qu'y a-t-il de si répréhensible et de si scabreux dans le fait qu'il exprime un avis favorable auprès du PM ou de son cabinet, à condition, bien sûr, que le candidat ait été retenu par le comité de sélection?»
Jean-Claude Rivest est du même avis: «Je ne vois pas où est le crime.» Marc-André Bédard, ancien ministre de la Justice sous René Lévesque, n'est pas d'accord. Lui qui a mis en place la nouvelle procédure de nomination, a réagi par communiqué, hier, à un article de La Presse qui démontrait que le PQ ne s'est pas non plus privé, lorsqu'il était au pouvoir, de nommer des juges davantage liés à son camp. M. Bédard a répliqué que pendant ses huit années comme ministre de la Justice, il a fait «de nombreuses recommandations en ce qui a trait aux nominations à titre de juge de personnes ayant des convictions politiques différentes». Il affirme que «toutes ces recommandations ont été faites sans consultation auprès du premier ministre et dans le respect intégral de la loi et du processus que j'ai fait adopter par l'Assemblée nationale du Québec».
Du reste, à la période de questions hier, la critique péquiste en matière de justice, Véronique Hivon, a demandé à Kathleen Weil ce qu'elle fera dans les six prochains mois durant lesquels la commission Bastarache va se tenir. «Est-ce qu'elle va continuer à consulter le premier ministre pour nommer ses juges?» La ministre Weil, après avoir redirigé la question à la commission Bastarache et à son «mandat très précis», a finalement soutenu que le processus de nomination en place depuis la fin des années 1970 sera respecté, mais sans préciser si elle allait continuer ou non de consulter le premier ministre: «La nomination des juges va suivre son cours. C'est le gouvernement qui nomme les juges, et le règlement sera respecté, et la loi sera respectée.» Au sortir du caucus libéral hier midi, la ministre Weil fut peu loquace sur son absence remarquée, en fin de semaine, au Conseil général du PLQ à Saint-Hyacinthe. «J'avais des engagements personnels», a-t-elle expliqué.