L'opposition crie au conflit d'intérêts - Ministre, il cherchait un emploi

Philippe Couillard, photographié quelques semaines après avoir troqué son titre de ministre de la Santé pour celui de conseiller stratégique chez Persistence Capital Partners.
Photo: Pascal Ratthé Philippe Couillard, photographié quelques semaines après avoir troqué son titre de ministre de la Santé pour celui de conseiller stratégique chez Persistence Capital Partners.

Pendant les six derniers mois où il était ministre, Philippe Couillard s'est cherché un emploi dans le secteur privé. Il a réussi à s'entendre avec un grand groupe privé en santé six semaines avant de démissionner. Le Parti québécois dénonce cette situation de «conflit d'intérêts» tandis que le jurisconsulte de l'Assemblée nationale plaide pour la création d'un poste de commissaire à l'éthique pour encadrer les élus. Le gouvernement Charest défend l'ancien ministre.

Québec — De mars à mai 2008, alors qu'il était toujours ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard a négocié son embauche par son nouvel employeur du secteur privé, Persistence Capital Partners (PCP) LP, du Groupe Santé Médisys. Le 17 mai, le ministre a signé un protocole d'entente sur ses conditions de travail avant d'annoncer sa démission, le 25 juin 2008.

C'est ce qu'a établi le commissaire au lobbyisme du Québec, André C. Côté, dans son rapport d'enquête pour déterminer si les dirigeants de PCP, Sheldon et Stuart M. Elman, avaient poursuivi des activités de lobbyisme, sans être inscrits au registre comme le veut la loi, dans les communications qu'ils ont eues en 2008 avec le ministre Couillard. M. Côté conclut que «rien dans la preuve recueillie ne permet de croire que MM. Sheldon et Stuart M. Elman aient contrevenu à la Loi sur la transparence et l'éthique en matière de lobbyisme».

M. Côté a précisé que son mandat ne permettait pas de juger des agissements du ministre, mais seulement des présumés lobbyistes. Jamais les Elman n'ont tenté d'influencer M. Couillard même s'ils ont rencontré le ministre à trois reprises alors que celui-ci préparait les projets de règlement concernant les «centres médicaux spécialisés» et le projet de loi 95. Le dernier projet de règlement, qui diminuait le coût du permis pour ces cliniques, a été adopté par le conseil des ministres quelques heures avant la démission de M. Couillard, le 25 juin. Les éléments de la Loi de 2006, découlant du jugement Chaouli, «qui fondent l'exercice du pouvoir réglementaire en cause ici, pouvaient créer une occasion d'affaires intéressante pour les cliniques privées», constate M. Côté. Mais les Elman n'en n'ont pas parlé avec Couillard, selon leurs témoignages et celui de M. Couillard, auxquels le commissaire prête totalement foi.

En revanche, on apprend que le ministre Couillard s'est cherché activement un emploi six mois avant son départ. Durant la période des Fêtes de la fin de 2007, Philippe Couillard prenait la décision de quitter la vie politique, révèle-t-il au commissaire. En janvier 2008, le ministre faisait appel au chasseur de têtes Egon Zehnder International — le même d'ailleurs qui a servi à la nomination de Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Le 17 mars, Egon Zehnder organisait une rencontre entre

M. Couillard et les Elman, principaux dirigeants de PCP, «le premier fonds d'investissement privé en santé au Canada», note le commissaire, et du Groupe Medisys, un des plus importants fournisseurs privés de services de santé au Canada, qui exploite un réseau de 19 cliniques d'imageries médicales au Québec et en Ontario. Medisys fournit ses services à des compagnies d'assurances, mais aussi à des sociétés d'État telles la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) et la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST).

Fin mars début avril, c'est M. Couillard qui relance Sheldon Elman pour continuer les discussions. Le 16 avril, le ministre rencontre les Elman dans un salon privé du restaurant L'Initiale à Québec et ils lui proposent un poste de conseiller stratégique. «Après le souper, on a constaté qu'on avait une communauté de vues sur les services de santé privés et publics», a confié M. Couillard aux enquêteurs.

Le 4 mai, Sheldon Elman, accompagné par Stuart, recevait M. Couillard à son domicile pour un dîner d'affaires et lui remettait une proposition d'entente. Le 17 mai, M. Couillard se rendait au bureau de Stuart Elman à Montréal pour «la signature d'un protocole d'entente concrétisant l'accord des parties»; un contrat formel fut signé par la suite.

Au moment de sa démission le 25 juin, Philippe Couillard laissait entendre qu'il ne savait pas trop ce qui l'attendait sur le plan professionnel, affirmant qu'il poursuivait une réflexion sur sa carrière. «Je vais beaucoup aller à la pêche cet été», avait-il lancé. Peu de temps après avoir annoncé qu'il se joignait à PCP à la fin août,

M. Couillard, furieux du fait que le Parti québécois alléguait qu'il était dans une situation de conflit d'intérêts, affirmait à la Presse canadienne que toutes les négociations relatives à son embauche avaient eu lieu après sa démission.

M. Couillard n'a pas rappelé Le Devoir hier.

Cette situation de ministre quémandeur d'un emploi, André Côté s'est refusé à la commenter sinon pour souligner que «c'est certainement une situation qui a soulevé des questionnements, qui a soulevé des émotions. Je pense que peut-être ce serait intéressant qu'on ait un débat sur ces questions-là».

À l'Assemblée nationale, la députée de Taschereau, Agnès Maltais, accusait Philippe Couillard de s'être placé dans «un conflit d'intérêts direct et flagrant». Le leader parlementaire du gouvernement, Jacques Dupuis, a défendu Philippe Couillard.

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