Analyse - L'échec de Dumont et la génération X

Mario Dumont fait partie de la génération X et l'a représentée en politique, notamment sur des thèmes comme la dette publique et les «clauses orphelines». Il s'est toutefois heurté aux difficultés liées à cette même génération: cynisme, individualisme, pragmatisme. Sans compter le défi de jongler avec l'héritage de la Révolution tranquille.
Québec — L'échec de Mario Dumont, qui a quitté la politique hier, a-t-il quelque chose à voir avec sa génération, la «X»? Cette jeunesse définie un jour par Radio-Canada comme «issue de la Révolution tranquille, qui a grandi dans la promesse d'un avenir meilleur», mais qui, une fois «arrivée à l'âge de travailler», a été confrontée à la crise de l'emploi des années 1980 et du début des années 90. Qui a souvent vu l'État et les syndicats non pas comme des outils d'affranchissement, mais des freins, des écueils.Après tout, un des premiers combats de Mario Dumont fut celui des «clauses orphelines», discriminatoires pour les plus jeunes. Le nouveau député adéquiste de Chauveau et ancien journaliste, Gérard Deltell, rappelle aussi que l'ADQ de M. Dumont a contribué à amener sur la place publique une préoccupation pour la croissance de la dette québécoise. D'autres X, dans d'autres partis, ont enfourché les mêmes chevaux de bataille.
On pourrait aussi souligner l'appui du chef adéquiste à la Radio X, CHOI-FM à Québec, qui se voulait, comme l'a écrit le professeur de philosophie Frédédic Têtu, «le cri d'une génération». De 2002 à 2008, ceux qu'on a surnommés les «angry young males», surtout à Québec, se sont souvent identifiés à Mario Dumont. En 2002, la ministre péquiste Rita Dionne-Marsolais avait lancé: «Mario Dumont est le reflet d'une génération très individualiste, qui pense seulement à elle, alors que ma génération à moi était un peu différente.» Le chef adéquiste avait dénoncé le manque de respect de la ministre pour «sa génération». «Elle mérite de démissionner de son poste», avait soutenu M. Dumont.
Pour le sociologue Mathieu Bock-Côté, si l'échec de Mario Dumont ne s'explique pas entièrement par son appartenance à la génération X et par sa volonté de porter en politique ses préoccupations, il reste que le lien est inévitable: «La conception de la politique développée par Dumont était assez symptomatique de la vision du monde cultivée par les X: cynisme et pragmatisme.»
Ce mélange aura empêché Dumont de «reconnaître l'importance de ce qu'on pourrait appeler la lutte idéologique en politique», soutient M. Bock-Côté. À ses yeux, si Dumont a réussi à traduire «en formules chocs» un certain malaise de sa génération et du Québec face au «modèle québécois», il ne sera pas parvenu «à le traduire en programme, encore moins en vision politique». Cette façon de rester dans le monde des intuitions — ce n'est pas pour rien que la biographie de Denis Lessard s'intitule L'Instinct Dumont (Voix Parallèles, 2007)—, de se contenter de la «clip», tient à un tempérament, à une personnalité particulière. Mais ne serait-ce pas aussi le fait qu'il est le premier chef politique à avoir baigné dès sa naissance, en 1970, dans un monde imprégné de télévision?
C'est du reste en tant que membre de la génération X qu'il interprète la Révolution tranquille. «Il a bien compris qu'on ne peut ni ne doit la liquider ou l'oublier. Il s'est toutefois refusé à la sacraliser», note M. Bock-Côté.
Entre le bâtisseur et le concierge
Et justement, une des difficultés majeures pour tout politicien contemporain, principalement de la génération X, tient à la Révolution tranquille.
À cause de son héritage, des multiples systèmes, des institutions qu'elle a fondés, il en va de la politique actuelle comme des viaducs construits à l'époque: on aimerait bâtir encore, éprouver de nouveau les transports des grands projets. Mais nous voilà contraints de réparer, voire de raser des oeuvres audacieuses pour reconstruire près du sol (on pense à l'échangeur Turcot).
Une des plus claires illustrations de ce tiraillement entre la figure du bâtisseur et celle du concierge — et des impasses auxquelles il peut conduire — a été donnée par le chef adéquiste, Mario Dumont, le jour du déclenchement des élections, le 5 novembre 2008.
Mario Dumont avait voulu frapper un grand coup symbolique. Son idée? Convier candidats et journalistes au bord du lac à l'Épaule, lieu légendaire où, en 1962, le conseil des ministres de Jean Lesage s'était réuni pour planifier la nationalisation de l'électricité.
M. Dumont fit un grand discours, sans notes, sans attaquer les adversaires. Il exprima son admiration pour ce temps où «des jeunes de moins de 30 ans» se voyaient confier de grandes responsabilités dans la fonction publique et pouvaient être envoyés à New York pour négocier des prêts massifs pour «construire des barrages. C'était une époque où le Québec innovait, où il osait. Il y avait alors un profond sentiment du "tout est possible". À condition d'y croire, mais tout semblait possible», a-t-il relaté, non sans conviction.
Rappelant cette époque mythique, Mario Dumont a dit vouloir retrouver la «mobilisation», l'audace et l'énergie l'ayant caractérisée. Mais évidemment, sans reprendre les «vieux modèles», les «vieilles batailles». En s'attaquant aux défis d'aujourd'hui, très différents de ceux de 1962... et, paradoxe, en partie créés en 1962. L'État, jadis était vu comme un outil collectif. Il s'est tellement développé qu'il est un peu comme un vieux viaduc et craque de partout, laissa-t-il entendre. On doit en diminuer la taille, disait-il, parce qu'il «est devenu, dans beaucoup de cas, bien plus un obstacle, une complication, qu'une aide». Un État dont les systèmes sont tellement fatigués, avait-il martelé, qu'ils ne donnent pas leur pleine mesure.
Pris entre deux chaises, entre deux générations, Mario Dumont? Entre celle du cours classique, de son mentor qu'il a combattu, Robert Bourassa, et celle des «boomers» comme Pauline Marois, avec qui il s'est allié, en gardant ses distances, pour dire «oui», en 1995? Sans doute. Et confronté à la mission presque impossible de retrouver l'énergie des bâtisseurs tout en adoptant une attitude de super concierge technocratique qui entretient et colmate les fissures.
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Ce texte est un extrait remanié d'un dossier d'Antoine Robitaille qui vient de paraître dans la revue Notre-Dame (mars-avril 2009), sous le titre «Quel genre de gouvernement voulons-nous?».