Pas de piquerie supervisée au Québec - Les intervenants sur le terrain peinent à comprendre

Le ministre Yves Bolduc rejette l’idée qu’il se soit laissé inspirer par son homologue fédéral, Tony Clement, qui a attaqué avec virulence les sites d’injection supervisée et le personnel médical qui y travaille en en faisant une question mo
Photo: Agence Reuters Le ministre Yves Bolduc rejette l’idée qu’il se soit laissé inspirer par son homologue fédéral, Tony Clement, qui a attaqué avec virulence les sites d’injection supervisée et le personnel médical qui y travaille en en faisant une question mo

La décision de Québec de rejeter l'idée d'implanter un site d'injection supervisée a provoqué un tollé hier parmi ceux qui oeuvrent auprès des toxicomanes, qui estiment qu'on vient de perdre une belle occasion de réduire les risques associés à la consommation de drogues. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Yves Bolduc, a quant à lui expliqué son refus d'aller de l'avant, disant vouloir «prendre le temps» d'étudier un projet qui ne fait pas «consensus» parmi les Québécois.

«C'est un choix difficile à comprendre, parce que ça va à l'encontre du consensus médical international et de ce que disent toutes les hautes instances de santé publique, comme l'Organisation mondiale de la santé et les Nations unies, a expliqué le Dr Réjean Thomas, de la clinique L'Actuel. Partout, on s'entend pour dire que c'est une façon de réduire les risques et de rejoindre les toxicomanes.»

Qui plus est, «la décision du ministre ne va pas du tout avec la philosophie québécoise, a poursuivi le Dr Thomas. Il faut, oui, éduquer les gens, leur expliquer pourquoi on doit faire ça, mais ils peuvent comprendre. Quand on a distribué des seringues au début, il y a quinze ans, je me souviens que la population n'était pas d'accord. On lui a expliqué pourquoi on le faisait et les gens ont compris que c'était une question de santé publique.»

Pour lui, il s'agit maintenant de se doter d'un outil de plus. «En prévention, il n'y a pas de recette miracle. Il faut toujours en faire le plus possible. Dans le cas des sites d'injection, on peut toucher des gens qui ont des passés lourds. Certains sont mal reçus dans le système de santé, alors ils vont se retrouver où, dans la rue? Au contraire, on peut éviter des surdoses et des infections. Et au bout du compte, on veut qu'ils s'en sortent. J'en rencontre plusieurs qui s'en sont sortis.»

Les responsables de la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida ont qualifié le geste des libéraux d'«incompréhensible». Par voie de communiqué, ils ont ainsi rappelé que «toutes les études dont le site d'injection supervisée de Vancouver a fait l'objet, publiées dans des revues scientifiques d'envergure [...], démontrent clairement, non seulement que le site d'injection supervisée augmente le recours aux services de traitement de la toxicomanie, mais aussi qu'il n'affecte pas le taux de criminalité lié au trafic des drogues».

De plus, ont-ils soutenu, un tel site réduit la consommation de drogue et le nombre de seringues laissées dans les lieux publics, réduit les taux de partage de seringues, n'encourage pas la consommation de drogues et réussit à rejoindre les consommateurs de drogues courant le plus de risques d'être infectés au VIH ou d'être victimes d'une surdose. Il existe quelque 70 sites d'injection supervisée dans le monde, surtout en Europe.

Le responsable communautaire chez Cactus, Jean-François Mary, estime toutefois qu'il faudrait réaliser ici une étude de faisabilité pour voir s'il s'agit de la façon la plus efficace de venir en aide aux personnes qui ne sont pas rejointes par les programmes déjà existants.

Le mois dernier, le directeur national de la santé publique, le Dr Alain Poirier, s'était dit très favorable à l'implantation d'un site d'injection dès cet automne. Il n'a toutefois pas été possible de lui parler hier et le ministère de la Santé n'a pas répondu aux nombreuses demandes du Devoir afin d'obtenir une entrevue avec le Dr Poirier.

Bolduc se défend

Attaqué de toutes parts, le ministre Yves Bolduc a défendu sa décision hier, déclarant à la Société Radio-Canada que le Québec prendra le temps qu'il faut pour étudier cette question. «Il n'y a pas d'urgence en la demeure, donc on va prendre le temps de le regarder [le dossier] comme il faut», a-t-il expliqué.

Son attachée de presse, Marie-Ève Bédard, a ajouté que le projet était «écarté» pour l'instant, mais la toxicomanie étant une maladie en constante évolution, il était possible que l'implantation d'un site d'injection supervisée au Québec soit réévaluée un jour. Mme Bédard a aussi précisé qu'à son avis, le prédécesseur d'Yves Bolduc, Philippe Couillard, «ne s'était pas clairement positionné comme étant favorable ou pas» à de tels sites d'injection.

Le ministre Bolduc rejette l'idée qu'il se soit laissé inspirer par son homologue fédéral, Tony Clement, qui a attaqué avec virulence les sites d'injection supervisée et le personnel médical qui y travaille en en faisant une question morale. «Non, pas du tout. Il faut voir au niveau du consensus médical et du consensus de société. C'est une décision qui a déjà été prise avant la position [...] de M. Clement. Là-dessus, pour moi, [il s'agit] vraiment de prendre un temps de réflexion et de voir comment cela va évoluer», a dit le Dr Bolduc.

«Gang d'adéquistes»

La chef du Parti québécois, Pauline Marois, n'a pas manqué de critiquer le ministre Bolduc. «Ça fait un peu amateur», dit Pauline Marois à propos de l'intervention du ministre. «De mon point de vue, c'est une idée qu'on devrait continuer à explorer.» Pauline Marois a signalé que les sites d'injection supervisée, c'est «l'approche qui a été privilégiée» à travers le monde. Alors qu'elle était ministre de la Santé et des Services sociaux, Gilles Baril, qui était ministre délégué, avait déjà étudié cette formule.

Pour le porte-parole péquiste en matière de santé, Bernard Drainville, le gouvernement Charest subit l'influence des conservateurs. Les libéraux «ont l'air d'un gang d'adéquistes», a-t-il accusé. «Ce n'est pas vrai qu'on va aider ces gens qui sont malades en les mettant au ban de la société, a-t-il dit. Qu'est-ce qui est le plus risqué pour la société: laisser les seringues traîner dans les cours d'école comme c'est le cas actuellement ou encore contrôler les injections?» Le député de Marie-Victorin exige que le ministre Bolduc autorise au moins un projet-pilote et qu'une évaluation en soit faite.

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