Le statut de patrimoine mondial de Québec est en jeu

La façade de l’église Saint-Vincent-de-Paul, à Québec.
Photo: La façade de l’église Saint-Vincent-de-Paul, à Québec.

Québec —Selon la ministre de la Culture, Christine St-Pierre, la ville de Québec pourrait perdre son statut de ville du patrimoine mondial s'il advenait qu'on démolisse la façade de l'église Saint-Vincent-de-Paul, dans l'arrondissement historique du Vieux-Québec.

En réponse à des questions sur le sort de l'église Saint-Vincent-de-Paul, la ministre a déclaré hier matin que «le statut de patrimoine mondial» n'était «pas garanti à perpétuité» et qu'il pouvait «être retiré» «Tout ce qui est fait à l'intérieur [de l'arrondissement historique] doit être regardé avec énormément de précaution», a-t-elle plaidé après avoir annoncé que 14,1 millions seraient investis dans la restauration d'une centaine d'églises au Québec.

Interrogée plus tard en journée, son attachée de presse, Marie-Hélène Paradis, a confirmé que le sort de la façade de l'église constituait un enjeu capital. «Oui, il y a une menace, parce qu'à chaque fois qu'on change quelque chose dans l'arrondissement historique, ça fragilise son statut. C'est très précaire.»

L'arrondissement historique du Vieux-Québec a, rappelons-le, été classé site du patrimoine mondial par l'UNESCO en 1985. Le comité responsable de la sélection des sites doit justement tenir sa rencontre annuelle à Québec du 2 au 10 juillet.

Dans ce contexte, le dossier de l'église constitue tout un embarras. On s'apprête à recevoir «des gens qui sont très ferrés en patrimoine mondial», a souligné la ministre. «Le statut de patrimoine mondial accordé à cet arrondissement est quelque chose qui est assez important pour qu'on fasse la démonstration qu'on prend les choses au sérieux.»

Située près de l'entrée du Vieux-Québec, l'église Saint-Vincent-de-Paul a été presque entièrement démolie en 2006 par un promoteur, Jacques Robitaille, qui avait acquis le terrain des pères de Saint-Vincent-de-Paul en 1998. L'homme d'affaires souhaitait construire un hôtel de 300 chambres à cet endroit. Il possède déjà plusieurs établissements dans la région, dont un hôtel en hauteur à l'entrée du Vieux-Québec, près des vestiges de l'église.

Mme Saint-Pierre a expliqué hier que des négociations «très soutenues» sont en cours entre son ministère et le promoteur afin d'intégrer la façade de l'ancienne église à son projet. Une entente devrait dès lors être conclue «très bientôt».

Il n'est toutefois pas question pour le ministère d'accorder une aide financière au promoteur pour réaliser son projet. «Le promoteur a démoli l'église sans l'autorisation du ministère, alors je ne pense pas que les citoyens seraient d'accord que le ministère aide quelqu'un qui est allé à l'encontre des règlements.»

La Ville de Québec et le ministère de la Culture sont à couteaux tirés dans ce dossier depuis le début. Il y a dix ans, les autorités municipales avaient donné au promoteur l'autorisation de détruire l'église à la condition qu'on en préserve la façade. Or le ministère maintient qu'on aurait dû demander son autorisation auparavant puisque le site est situé dans l'arrondissement historique.

Le maire Régis Labeaume a déjà pris position contre le maintien de la façade tout en priant la ministre St-Pierre de prendre une décision dans ce dossier qui n'en finit plus de traîner.

Hier, la ministre St-Pierre a déclaré que le maire se montrait «très, très ouvert».

Suivant un système de classification des églises de la ville de Québec rendu public en 1999 par l'administration municipale, le ministère de la Culture et le diocèse, l'église Saint-Vincent-de-Paul présentait une valeur patrimoniale «significative» et son enveloppe extérieure devait être préservée. Dans le cas des églises dont la valeur patrimoniale est jugée élevée, on recommande la conservation intégrale de l'édifice (intérieur et extérieur).

L'historien Jean Provencher doute que l'UNESCO puisse revenir sur sa décision, mais il estime néanmoins que l'intervention de la ministre est justifiée. «La façade, on doit la garder. Il faut qu'on soit imaginatif pour l'utiliser d'une manière ou d'une autre.»

M. Provencher a été vivement inquiété par l'intervention, fin février, d'une fonctionnaire de la Ville de Québec selon qui le site de l'église Saint-Vincent-de-Paul méritait de toute façon d'être exclu de l'arrondissement historique puisqu'il est déjà séparé de la vieille ville par une autoroute.

«Même si l'UNESCO a reconnu le site en 1985, les limites de l'arrondissement sont définies depuis 1963», a-t-il rappelé. «À l'époque, on en avait pris plus large autour des fortifications pour protéger le Vieux-Québec, et avec raison. Il suffit de voir à quel point l'entrée du Vieux-Québec a été assiégée depuis par des tours de dix, douze étages. [...] Il ne faudrait pas remettre ça en question à chaque génération juste parce que les valeurs changent.»

Collaboratrice du Devoir

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