Consultation sur les conditions de vie des aînés - Le Québec est invité à mieux aimer ses vieux

Pas de recommandations claires, aucune promesse chiffrée mais trois grands voeux et une pléthore de constats et de témoignages: voilà l'essentiel de ce qu'on retrouve dans le rapport de la consultation libérale sur les conditions de vie des aînés. Un exercice qui ne trouvera son sens que dans une réponse gouvernementale dont la ministre responsable des aînés, Marguerite Blais, n'a rien voulu dire hier, sinon qu'elle sera «articulée autour d'actions concrètes, d'actions terrain», selon le voeu exprimé par les 4000 aînés consultés.
Ses deux commissaires se sont mouillés un peu plus. Le Dr Réjean Hébert a même sonné le glas des investissements massifs en lits de soins de longue durée, trop nombreux à son avis. Il juge que Québec doit recentrer son système de santé autour des soins à domicile. Autrement, «on crée une pression sur les centres d'hébergement, qui deviennent le seul recours». Cette idée a été reprise au vol par la ministre Blais, qui a dit convenir qu'il faut «faire des choix». «On ne peut pas à la fois investir dans des places en CHSLD et faire en sorte qu'il y ait du soutien à domicile quand on regarde les finances publiques.»À l'heure actuelle, l'État assure 10 % des besoins en soutien à domicile, ce qui est beaucoup trop peu, estime le Dr Hébert. Le gériatre milite en faveur d'une hausse à 40 %, ce qui nécessiterait un investissement de 500 millions. «Il y a là des bénéfices [à faire] en termes de diminution de la pression sur l'hôpital, sur les urgences, sur l'hébergement.» La ministre Blais a préféré ne pas s'aventurer sur ce terrain, sinon pour dire qu'elle soumettra cette recommandation à la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget.
Le Dr Hébert, appuyé par la commissaire Sheila Goldbloom, a aussi dit estimer qu'il est temps que Québec sorte ses aînés du cercle vicieux de la pauvreté. Il suggère que Québec crée son propre supplément de revenu garanti de manière à combler les failles du fédéral. Actuellement, les aînés reçoivent d'Ottawa 13 400 $ par année. Le Dr Hébert propose que Québec porte cette enveloppe à 16 000 $.
Intitulé Préparons l'avenir avec nos aînés, ce rapport rappelle aussi l'importance de faciliter l'intégration des personnes aînées dans la société en favorisant leur participation au marché du travail et aux activités bénévoles. Il fait aussi état de la nécessité d'agir en prévention en préconisant la lutte contre les stéréotypes, en prévenant les abus, en facilitant l'accès à l'information gouvernementale et en faisant la promotion de la santé.
Comment cela se fera-t-il? Difficile de le savoir, a dénoncé hier la porte-parole de l'opposition officielle pour les aînés, Ginette Grandmont. Elle a même accusé la ministre Blais de ne pas avoir su se battre pour imposer ses idées. «La table est mise pour un autre rapport libéral tabletté», a déploré hier la députée adéquiste, qui réclame des mesures concrètes.
La porte-parole du Parti québécois en matière d'aînés en perte d'autonomie, Louise Harel, n'a guère été plus tendre en invitant «l'animatrice à céder le pas à la ministre». «Il suffit, le temps de mettre en scène la publication de rapports. Il est temps d'agir.» La députée péquiste s'est inquiétée de voir que la pièce maîtresse de ce rapport, soit l'action gouvernementale, brille par son absence. «Est-ce [à dire] que le premier ministre Charest est insensible aux arguments de sa ministre?» La question se pose, estime Mme Harel.
Appels à l'action
La plupart des groupes actifs auprès des aînés ont accueilli ce rapport avec la même perplexité, inquiets de n'y voir aucun engagement, sinon la promesse d'un plan d'action gouvernemental encore difficile à saisir. «Nous sommes tous en attente», a résumé hier le directeur général de l'Association québécoise des retraités des secteurs public et parapublic (AQRP), Luc Vallerand. Ils sont aussi déçus de constater que les recommandations ne sont pas plus musclées.
Même la volonté de s'attaquer une fois pour toutes aux soins à domicile les laisse sur leur faim. «Il restera toujours des gens qui auront besoin d'être hébergés et les listes d'attente sont bien réelles», a rappelé hier la directrice générale de l'Association québécoise d'établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), Lise Denis. Même les places acquises ne sont pas optimales. «On a un taux de réponse de 70 %, pas davantage.»
Le réseau de la FADOQ partage cet avis et appelle au maintien des places existantes et à l'établissement d'un meilleur continuum de services entre le domicile et les soins de longue durée. Assurer un revenu décent aux aînés lui paraît comme une idée très intéressante, mais le réseau attendra le budget avant de célébrer.
Au Conseil des aînés, on salue les constats faits par les commissaires, mais on estime que le fait d'avoir concentré toutes leurs énergies sur les plus vulnérables réduit la portée de leur rapport. «À peine 10 % de la population aînée est fragilisée. Il s'agit d'une minorité, et je crains que cela ne vienne réactiver les stéréotypes existants», a déploré son président, Georges Lalande.
Il n'y a rien de tangible pour les travailleurs et rien pour les retraités actifs, qui contribuent pourtant activement à la société, a déploré M. Lalande. À l'AQRP, on estime qu'il faut leur faire plus de place et mieux les protéger. Assurer un revenu raisonnable comme le recommande le Dr Hébert est une chose; protéger le pouvoir d'achat des personnes retraitées en est une autre, encore plus fondamentale, a fait valoir Luc Vallerand.
Tous enfin ont formulé le voeu de voir le gouvernement passer des mots aux actes. «Le budget déposé la semaine prochaine constituera un premier test à cet égard», a insisté la présidente de l'Association des retraités de l'enseignement du Québec (AREQ), Mariette Gélinas. «On jugera l'arbre à ses fruits», a renchéri le vice-président de la CSN, Roger Valois, qui appelle à une réponse pressante et sans équivoque.
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Avec Antoine Robitaille