Une valeur sûre : l'économie

Québec — Jean Charest a choisi de mettre l'accent sur l'économie en 2008 alors que, depuis plus d'un an, la question identitaire tient le haut du pavé sur la scène politique québécoise. Le premier ministre s'est peut-être souvenu du mantra («The economy, stupid») qu'avait répété Bill Clinton pendant la campagne de 1992 pour contrer George Bush père, ce qui avait valu la victoire au candidat démocrate.

L'économie, ou sa faiblesse, est déjà une préoccupation pour la population dans les régions ressources affectées par la crise de l'industrie forestière, une crise que le gouvernement libéral n'avait pas vu venir, de l'aveu pour le moins candide de la vice-première ministre Nathalie Normandeau. Qu'un ralentissement s'amorce aux États-Unis, allié à la force du dollar canadien, et c'est l'économie du Québec dans son ensemble qui risque d'en pâtir. L'état de l'économie pourrait alors devenir un sujet d'inquiétude pour une bonne partie de l'électorat. Ce ne sera plus seulement le ministre du Développement économique, Raymond Bachand, qui sacrera contre le mauvais sort.

Non sans perfidie, on explique au Parti québécois que si les libéraux se tournent vers l'économie, c'est qu'ils se sentent en terrain solide, ce qui n'est pas le cas lorsqu'ils traitent d'identité et de langue. En fait, les libéraux — et, au premier chef, le conseiller spécial du premier ministre, John Parisella — souhaitent que le PLQ redevienne la référence politique en matière d'économie comme leur parti l'était sous Robert Bourassa, qu'il redevienne en somme le parti de l'économie, un titre que le PQ, dirigé par Lucien Bouchard puis par Bernard Landry, lui a ravi.

À l'issue du caucus des députés libéraux, le chef libéral est apparu sûr de lui, sûr aussi qu'il n'y aura pas d'élections au Québec en 2008. Avec un taux de satisfaction envers le gouvernement qui ne cesse de s'accroître depuis septembre — il atteint maintenant les 47 %, selon le dernier sondage Léger Marketing —, le vote de confiance auquel doit se soumettre Jean Charest au congrès des libéraux, début mars, apparaît comme une simple formalité. Lors de son point de presse jeudi, le chef libéral, en se léchant les babines, a décrit la rentrée parlementaire de mars à Québec. Le budget fédéral sera «réglé autour de ces dates-là», a-t-il dit. «Je n'ai pas besoin d'en ajouter davantage sur le plan politique. Vous devinez comme moi que ce seront des moments très importants.» Sibyllin, notre premier ministre. Mais dans son entourage, on a la certitude que le prochain budget du gouvernement Harper sera battu et que le Canada se retrouvera en élections. Peinarde, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, aura tout le loisir de déposer son budget après le budget fédéral mort-né: ni l'ADQ ni le PQ ne voudront porter l'odieux de projeter les Québécois dans une campagne électorale tandis que la campagne fédérale battra son plein ou viendra tout juste de se terminer.

En voyage

Sauvés par la cloche, pour ainsi dire. Cela permettra à Jean Charest de se poser en chef d'État en 2008 sur fond d'économie et de relations internationales. Il a entamé hier un périple de huit jours en Europe, où il rencontrera le premier ministre français François Fillon et le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf. Il sera question avec la France de mobilité de la main-d'oeuvre et d'une reconnaissance réciproque des diplômes et des compétences. Jean Charest caresse aussi le projet bien illusoire d'une zone de libre-échange Canada-Europe. Dans cette optique, il se rendra à Londres et prononcera un discours à ce sujet la semaine prochaine.

Le premier ministre est convaincu qu'il sera là pour accueillir le Sommet de la Francophonie à Québec en octobre, une autre occasion de se montrer en chef d'État.

En 2008, Jean Charest deviendra président du Conseil de la fédération. Il sera encore question d'économie puisque, parmi les sujets à l'ordre du jour, figure l'élimination des barrières commerciales entre les provinces.

Mais il ne faut pas penser que Jean Charest détiendra le monopole du discours à caractère économique. Ni Mario Dumont ni Pauline Marois ne veulent être en reste.

À la mi-mars, l'ADQ tiendra son septième congrès, qui sera consacré à la révision de sa plateforme économique. «L'élan d'émancipation» qu'a connu le Québec lors de la Révolution tranquille avec la prise en charge par l'État «des plus grands leviers économiques» s'est estompé, écrit Mario Dumont dans son message aux militants. En matière économique, il faut «se délester d'un paternalisme dépassé» et combattre «l'immobilisme» occasionné par «le poids combiné de l'endettement, du fardeau fiscal et de la bureaucratie», plaide le chef adéquiste. L'ADQ devra montrer comment l'État peut continuer à intervenir dans l'économie tout en se rangeant à droite.

Un coup de barre

Depuis les élections de mars 2007, Pauline Marois a fait son pain et son beurre de la question identitaire. Son projet de loi 195 sur l'identité québécoise qui crée une citoyenneté québécoise, doublé d'un deuxième projet de loi sur une constitution du Québec, a fait grand bruit.

Cette semaine, elle s'est attiré les foudres des libéraux pour avoir préconisé le recours à des «gestes de souveraineté» par un gouvernement du PQ, une idée lancée par le président du Conseil de la souveraineté, Gérald Larose.

Toutefois, plus significatif encore aux yeux de son entourage, c'est sa prise de position sur la langue à la suite de l'enquête du Journal de Montréal visant les boutiques de Montréal. Les libéraux ont banalisé la situation. La ministre de la Culture et des Communications, Christine St-Pierre, ne veut pas modifier la loi 101 tandis que son collègue, Philippe Couillard, estime que «l'inquiétude linguistique» n'est qu'un «bouton» sur lequel le PQ a tort d'appuyer. «Le déni dont ils font preuve sur la question linguistique, ce n'est pas sain pour le Québec», contre-attaque Jean-François Lisée.

Pauline Marois croit qu'il faut donner un sérieux coup de barre pour réaffirmer le fait français au Québec en renforçant la loi 101. Elle propose notamment d'amorcer la francisation des entreprises de 25 à 50 employés, une mesure que contient le projet de loi 195. Dans le camp péquiste, on juge que la chef péquiste a fait d'indéniables gains avec ses interventions sur l'identité et la langue.

Fini la grogne

Pauline Marois a relevé son premier défi sur la question identitaire. Elle doit maintenant en relever un deuxième: le renouvellement du discours social-démocrate, fait valoir Jean-François Lisée. À cet égard, le PQ traverse une petite saison des idées qui occupe actuellement les instances régionales du parti et qui culminera à la mi-mars lors d'un conseil national.

Fini, la grogne au PQ: ce conseil national, un exercice qui a donné du fil à retordre à ses prédécesseurs, s'annonce comme un vrai pique-nique pour Pauline Marois. Les militants, à quelques rares exceptions près — on pense à Denis Monière ou à Jean-Claude Saint-André —, n'ont que de bons mots à dire à propos de la chef. Même Pierre Dubuc, du SPQ libre (Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre), un club politique que Mme Marois projetait pourtant d'abolir, est tout miel. «Notre objectif, ce n'est pas de casser du sucre sur le dos du chef», a livré M. Dubuc au Devoir. «On développe nos positions, et si ça marche, tant mieux, si ça ne marche pas, on ne va pas déchirer notre chemise sur la place publique le lendemain. On reviendra à la charge ou on changera de position.»

Mais des gens comme Joseph Facal et François Legault voudraient bien que Mme Marois mette en avant son profil économique. À ce sujet, François Legault rappelle qu'en 2002, alors qu'elle était ministre des Finances, elle avait inscrit dans son budget une série de mesures qui avaient permis au Québec de parer aux risques de récession qui tiraient leur origine d'un ralentissement aux États-Unis. La chef péquiste les a entendus: elle fera la tournée des chambres de commerce, à commencer par la chambre de commerce du Montréal métropolitain dès mercredi de cette semaine, pour livrer un discours économique qui pigera tantôt à gauche, tantôt à droite mais qui s'appuiera sur «le gros bon sens», assure-t-on.

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