Québec donne le feu vert à Rabaska

Québec — Après avoir préparé le terrain depuis quelques semaines, notamment en neutralisant la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ), le gouvernement Charest a annoncé hier sa décision de donner le feu vert au projet controversé de terminal méthanier Rabaska à Lévis.

Accompagnée du ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Claude Béchard, à la sortie du conseil des ministres, la ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Line Beauchamp, qui a autorisé ce projet dont le coût est évalué à 840 millions de dollars, a fait valoir que cette décision «s'inscrit parfaitement dans une logique d'un gouvernement qui est capable de conjuguer ensemble [sic] les mots "économie" et "environnement"». Il s'agit du deuxième projet de port méthanier que le gouvernement autorise cette année. En juin dernier, il avait donné son aval au projet de Gros Cacouna du consortium TransCanada Pipelines et Pétro-Canada.

Le conseil des ministres a adopté deux décrets hier afin de permettre à Rabaska d'aller de l'avant, mais le gouvernement a refusé de les rendre publics. Ils ne seront disponibles que d'ici quelques semaines, dans la Gazette officielle.

Pour sa part, Claude Béchard a insisté sur l'importance pour le Québec de diversifier les sources d'approvisionnement en gaz naturel, évoquant même les risques que les livraisons de gaz en provenance de l'Ouest se tarissent. Aller de l'avant avec Rabaska, «c'est mieux que de ne pas avoir d'alternative en matière d'approvisionnement en gaz naturel, de tout simplement se faire couper le tuyau dans deux, trois, quatre, cinq ans», a-t-il avancé.

Selon le promoteur, le projet Rabaska générera 5000 emplois directs et indirects pendant la phase de construction et 300 emplois une fois complété, dont 70 emplois directs. Les travaux pourraient commencer l'été prochain et s'étendraient sur trois ans et quatre mois. Mais pour que ce projet se réalise, il faut que les sociétés Gaz Métro, Enbridge et Gaz de France s'assurent d'obtenir un contrat d'approvisionnement à long terme, possiblement avec l'entreprise russe Gazprom. «Que le Québec ait une, deux chances d'avoir du gaz, c'est tant mieux», a dit M. Béchard.

En plus d'une analyse favorable de son ministère, Line Beauchamp a reçu des avis, tous favorables, d'une quinzaine de ministère et d'organismes, dont le ministère de la Santé et des Services sociaux, alors que les départements de santé publique avaient exprimé des inquiétudes. Quant à lui, le ministère de la Culture et des Communications a analysé les impacts sur le paysage du projet, censé être réalisé en face de l'île d'Orléans, sur la rive sud du fleuve. Le gouvernement n'a pas rendu publics ces avis.

Mme Beauchamp a expliqué que les réservoirs gaziers de Rabaska seront moins hauts de dix mètres par rapport à ce qui était prévu et seront enfoncés de dix mètres dans le sol afin de protéger le paysage. Des buttes seront également aménagées.

Or, selon l'analyse du ministère de l'Environnement datée du 19 octobre, en creusant dix mètres dans le sol, on comprimera la nappe phréatique. Il faudra pomper l'eau, mais on n'a pas encore achevé les études hydrogéologiques pour déterminer quel sera le volume d'eau qu'il faudra continuellement retirer. Les puits résidentiels pourraient en être affectés, note le ministère, mais le promoteur s'est engagé «à redonner cet accès aux propriétaires concernés».

À la demande du ministère, le promoteur devra aussi réaliser une étude sur «les impacts psychosociaux associés à la perception des risques» et mettre en place un système de gestion des plaintes en provenance de la population.

Rappelons qu'à la fin de septembre, le gouvernement Charest, cherchant à dorer la pilule, avait dévoilé un programme de conversion du mazout au gaz auquel il consacrera 25 millions d'ici 2012. En outre, il y a trois semaines, le ministre Béchard a dessaisi la CPTAQ du dossier Rabaska après que l'organisme de protection du territoire agricole eut refusé le dézonage des terres agricoles que réclamait la Ville de Lévis pour le promoteur.

Du côté de l'opposition officielle, le député adéquiste de Lévis, Christian Lévesque, se réjouissait de ce feu vert accordé à Rabaska. Selon le député, qui a participé activement à la promotion du projet avec les autres élus de la région, le gouvernement aurait dû procéder encore plus rapidement. «Ce que je trouve normal, c'est que les gens mettent leur culotte. Quand il y a développement, qu'on soit prêt à aller de l'avant», a martelé le député.

Le Parti québécois a déploré la décision du gouvernement. Le député de Vachon, Camil Bouchard, a rappelé que le PQ a réclamé du gouvernement qu'il demande à la Régie de l'énergie de déterminer les besoins du Québec en gaz naturel. Le gouvernement Charest s'est passé de cette évaluation. Québec solidaire a aussi exprimé son désaccord avec ce feu vert.

Les groupes écologistes ont tous décrié la décision du gouvernement. «C'est un jour triste pour le développement durable au Québec», estime Christian Simard, de Nature Québec (UQCN). Selon André Bélisle, de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), le gouvernement Charest se retrouve dans la même situation qu'après l'adoption du décret autorisant le projet de centrale du Suroît. «Il faut croire qu'il y a un bon Dieu pour les innocents», a-t-il lancé.

Les groupes écologistes croient pouvoir contrer le projet Rabaska avec le même succès que le Suroît. Dans cette optique, ils organisent une manifestation contre Rabaska dimanche après-midi devant le parlement.

À Ottawa, Thomas Mulcair, ancien ministre québécois de l'Environnement et député du Nouveau Parti démocratique, a jugé que le gouvernement Charest commettait «une erreur». Rabaska représente «des dangers réels pour la sécurité des populations avoisinantes et pour les écosystèmes [...]. Par ailleurs, lorsqu'on regarde les aspects de transport maritime, on est à un des endroits les plus étroits de la voie maritime du Saint-Laurent. Les plaisanciers vont avoir une très mauvaise surprise», a-t-il prédit.

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Avec la collaboration d'Alec Castonguay

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