Le mont Orford doit rester public
Les maires de la MRC de Memphrémagog ont approuvé hier après-midi, sans amendement, une proposition visant à créer un «village piétonnier» de 750 unités d'hébergement au pied du mont Orford, qui occuperait environ 40 hectares (ha) plutôt que les 130 ha du projet de 1400 unités soumis en audiences publiques par les gestionnaires actuels de la station de ski, en 2004.
Mais les maires estiment que le futur promoteur devrait par contre rétrocéder la montagne — en principe, privatisée par la loi 23 — à la MRC ou à un organisme public régional pour la garder dans le domaine public. L'appel d'offres gouvernemental, demandent les maires, devrait aussi imposer au futur promoteur du projet d'exploiter à ses frais la station de ski, qui est l'objectif premier de la cession des terrains de l'ancien parc. Pour y arriver à long terme, il offrirait aux gestionnaires publics de la montagne une importante caution financière pour maintenir la station en activité pendant au moins 15 ans.Les maires de la MRC ne se sont aucunement penchés sur la proposition de leur collègue d'Orford, Pierre Rodier, qui prépare un projet de coopérative de 30 000 à 50 000 membres pour assurer la survie de la montagne, mais d'envergure beaucoup plus modeste. Ce projet, divulgué samedi par Le Devoir, limiterait les constructions nouvelles à une auberge d'une cinquantaine d'unités «familiales» et à ses dépendances. Le maire Rodier n'a même pas pu déposer son projet hier devant ses collègues, car l'absence de deux maires empêchait de modifier l'ordre du jour de la réunion spéciale de la MRC.
Le projet élaboré par la direction de la MRC de Memphrémagog fait suite à une ouverture inscrite in extremis dans la version finale de la loi 23, le 13 juin dernier, devant la polarisation du débat sur l'avenir du parc national d'Orford. Afin de reconstituer un consensus minimal, du moins dans la région, Claude Béchard, le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, avait amendé son projet de loi pour permettre à la MRC d'élaborer une proposition qui tiendrait compte des paramètres de sa loi, c'est-à-dire une solution qui éviterait à Québec de se retrouver avec une station de ski déficitaire sur les bras.
La proposition de la MRC s'attaque toutefois à la prémisse de la stratégie gouvernementale, soit la privatisation de la montagne dans le but de la céder à un futur exploitant de la station, qui la financerait grâce à un important projet immobilier sur les terrains de l'ancien parc.
Mais, selon la MRC, l'appel d'offres en vue de développer le pied de la montagne devrait prévoit que les trois montagnes et leur domaine skiable devront demeurer des propriétés publiques.
Cela, lit-on dans la proposition de la MRC, «éliminerait un irritant majeur dans les perceptions du milieu et constituerait un gage de succès pour la recherche plus large du consensus régional».
Pour y arriver, la MRC propose que le promoteur cède les terrains inutilisés dans la montagne à la MRC ou à un organisme public régional, qui pourra en faire, par exemple, un parc régional.
Un projet «modeste»
Quant aux 80 ha dont la loi prévoit la cession à un futur promoteur pour un projet immobilier, le président de la MRC, Roger Nicolet, a déclaré hier au Devoir que seulement «entre 35 et 40 ha, soit la moitié des 80 ha prévus dans la loi, seront nécessaires». Le reste, dit-il, sera laissé au propriétaire sous forme de bail emphytéotique, ce qui signifie que, à l'échéance du bail, la portion inutilisée des terrains serait rétrocédée à l'organisme public régional et donc rajoutée au territoire du parc. Le legs pourrait aussi se faire dès le début de la construction, pour éviter de laisser la porte ouverte à de nouvelles constructions.
La MRC propose de construire quelque 750 unités d'hébergement sur ces 40 ha. Le promoteur L'Espérance avait pour sa part évoqué la possibilité de ramener son projet à 1000 unités, devant l'ampleur du tollé.
Mais, a précisé hier Roger Nicolet, la proposition de la MRC est fondamentalement différente du projet L'Espérance, parce qu'elle mise sur des unités de «location» plutôt que sur la vente de condos et de résidences. Selon la MRC, il est capital, pour maintenir en santé économique le centre de ski et le futur village «nature-culture», qu'il y ait une «masse critique» ou un achalandage commercial minimal, que seul un système d'hébergement de touristes sans cesse remplacés peut assurer parce qu'il est plus rentable que la simple présence de villégiateurs permanents.
Le projet regrouperait donc 550 unités d'hébergement réparties entre une hôtellerie traditionnelle (80 à 100 unités) et une hôtellerie en appartements, ce que d'aucuns appelleraient des condos classiques, mais que les propriétaires seraient obligés de louer lorsque ces condos seraient inoccupés. Une auberge en montagne pourrait également accueillir de 60 à 80 unités de logement, et on construirait au pied des pentes quelque 120 résidences de villégiature de haut niveau. Pour la MRC, il s'agit malgré tout d'un projet «modeste» en comparaison des 5600 unités de logement au pied du mont Tremblant.
Les maires de la MRC de Memphrémagog veulent aussi assurer à leur projet un achalandage à longueur d'année. On pourrait y pratiquer des sports, s'y intéresser à des activités artistiques et culturelles, pratiquer la relaxation et le ressourcement, la récréation familiale, la restauration et le magasinage, faire du ski, de la randonnée ou du vélo, jouer au golf, etc. Les visiteurs pourraient aussi compter sur la présence d'amphithéâtres extérieurs, d'un complexe de relaxation et de récréation, d'un club d'enfants, d'un centre de réunion et de formation, d'une navette avec Magog, etc.
Enfin, la MRC estime que le centre de ski ne doit pas être évalué en fonction de ses actifs, dont la valeur se situerait entre 10 et 20 millions, selon les évaluations croissantes du ministre Béchard. À leur avis, la station de ski ne vaut pratiquement rien du tout, car les centres de ski sont généralement vendus à six ou huit fois la valeur de leurs profits annuels. Comme celui d'Orford est déficitaire et que la transaction de l'an 2000 n'a pas dépassé 1,7 million, les maires estiment que le promoteur se remboursera amplement avec la vente des constructions qu'il pourra réaliser dans le secteur.
La coop Orford
Au moment d'aller sous presse, la coalition SOS-Orford étudiait la proposition des maires et fera connaître son analyse complète plus tard cette semaine.
Mais sa porte-parole, Gisèle Lacasse-Benoît, a précisé au Devoir, «à titre de réaction préliminaire», qu'on était en face «non pas d'un projet modeste mais d'un village entier avec 750 unités d'hébergement, et cela, toujours à l'intérieur d'un parc national. C'est en somme à peu près le même projet, et il sera difficile de l'appuyer parce qu'il aura des impacts importants dans le parc avec ses hôtels et condos.»
La porte-parole de la coalition, qui a piloté l'opposition à la privatisation, précise que son groupe aurait été plus enclin à appuyer le projet de coopérative familiale mis de l'avant par le maire d'Orford, Pierre Rodier. La coalition aurait pu tout autant appuyer, ajoute Mme Lacasse-Benoît, un projet d'auberge gouvernementale gérée par la Société des établissements de plein air du Québec (SÉPAQ), qui gère les actifs gouvernementaux des parcs et réserves fauniques et assure leur rentabilité.
«Mais il faudrait, pour aller dans cette direction, dit-elle, que les maires aient manifesté un appui minimal au projet de coopérative ou à celui d'une auberge gouvernementale. La réalité, c'est qu'ils n'ont même pas pu en discuter.»
Quant à Roger Nicolet, il ne ferme pas la porte à l'idée d'une coopérative, mais il souligne que le maire d'Orford n'a jamais présenté ce projet à la MRC pour qu'il fasse partie des idées examinées par le comité chargé d'élaborer la proposition adoptée hier. Reste à voir, a-t-il précisé au Devoir, comment cette idée peut s'intégrer à la proposition maintenant sur la table, tout comme l'idée que la MRC pourrait accorder des servitudes de non-développement à des tiers pour s'empêcher elle-même, de façon irréversible, de céder d'autres parties de la montagne à des promoteurs.