Orford: la région doit décider
Québec — Afin d'écarter définitivement tout soupçon de favoritisme dans le dossier d'Orford, il faudra vraiment laisser les gens de cette région décider du projet qui sera réalisé au pied de la montagne, juge le préfet de la MRC de Memphrémagog, Roger Nicolet. «Si le ministre [Claude Béchard] donne effectivement suite à ce qu'il m'a indiqué verbalement [c'est-à-dire que la région ferait son choix], il aura fait un grand pas pour nettoyer ces soupçons», a déclaré M. Nicolet hier au Devoir.
L'apparence de favoritisme dans le dossier d'Orford, déjà signalée à plusieurs occasions depuis l'envenimement du dossier, fin février (au moment du renvoi de Thomas Mulcair), est revenue à l'avant-plan hier en raison d'un article du Globe and Mail. Le texte révélait des détails de procès-verbaux de la compagnie Intermont (devenue Mont-Orford inc. depuis), laquelle exploite actuellement le centre de ski et le terrain de golf situés dans le parc national.Les informations inédites indiquaient qu'en 2003, après l'élection de Jean Charest, l'ancien ministre libéral Paul Gobeil avait fortement accru, par le truchement d'une compagnie à numéro, le nombre d'actions de Mont-Orford inc. qu'il détenait, jusqu'à 77 % en septembre 2003. Aujourd'hui, il en détiendrait jusqu'à
90 %. En 1998, M. Gobeil a présidé la campagne de financement de Jean Charest lorsqu'il est passé du Parti conservateur du Canada au Parti libéral du Québec.
On apprenait aussi dans l'article du Globe que l'entreprise aurait fait des profits de novembre 2003 à mars 2004 et de novembre 2002 à mars 2003. Aussi, les propriétaires de l'entreprise prévoyaient de faire un profit d'environ quatre millions en 2004. Ces chiffres ne concordent pas avec ceux du gouvernement, qui argue de la non-rentabilité de l'entreprise pour vendre une partie du parc national.
Après avoir pris connaissance de cet article, le porte-parole de la Coalition SOS Parc Orford, Claude Dallaire, a déclaré hier: «Ils font des profits avec le centre de ski. Ce n'est pas déficitaire. Le motif principal pour vendre, c'était ça. Ça pose la question de l'intégrité du premier ministre. Il semble avoir plus d'informations que l'on pense.» En Chambre hier, le député péquiste de Verchères, Stéphane Bergeron, se demandait pour sa part si ces nouveaux éléments «n'incrimin[ai]ent pas directement les amis du premier ministre» (des propos antiparlementaires qu'il a dû retirer).
Dans sa réplique, le ministre Béchard s'est fait cinglant, usant de termes tout aussi antiparlementaires (qu'il a dû retirer lui aussi): «On appelle ça quelqu'un qui n'a pas de courage, pas de colonne vertébrale, puis qui est hypocrite.» Selon le ministre Béchard, M. Bergeron profite de l'immunité parlementaire pour faire des allégations qu'il ne répète pas à l'extérieur de la Chambre. M. Béchard a par ailleurs fait valoir que les informations financières qu'il utilise sont des états financiers vérifiés de la firme comptable Samson Bélair Deloitte & Touche. Mais il a refusé hier de rendre publics tous les documents financiers de l'entreprise.
Par la suite, M. Béchard a souligné que le gouvernement entendait procéder à la vente des quelque 500 hectares du parc par «appel d'offres public» et, enfin, que «c'est la région qui va décider quel projet [elle va] choisir». En effet, la MRC a accepté cette semaine de piloter la consultation qui durera tout l'été et au terme de laquelle on sélectionnera un projet à partir duquel on fera l'appel d'offres. M. Béchard a conclu en lançant: «Les seuls qu'on veut aider, les seuls qu'on veut favoriser dans ce dossier-là, c'est les gens de la région de Magog-Orford.»
Au cabinet du premier ministre hier, on a lourdement insisté pour rappeler que Paul Gobeil n'est «ni un proche ni un ami du premier ministre». L'article du Globe mettait du reste en relief le fait que dans les procès-verbaux de Mont-Orford inc., quelques jours après l'élection des libéraux, il était noté qu'une rencontre avec Jean Charest et Pierre Reid (député d'Orford) devait avoir lieu «aussitôt que possible». Au cabinet, en guise de réponse, on nous a renvoyés à une déclaration de M. Charest livrée en Chambre le 28 mars dernier: «Je n'ai jamais discuté du dossier du mont Orford avec M. Gobeil. Ça fait plusieurs années que je n'ai pas eu de contact avec M. Gobeil.» Notons que M. Gobeil n'a pas rappelé Le Devoir hier.
Par ailleurs, bien qu'elle ait accepté de faire la consultation dans la région de Magog-Orford, la MRC de Memphrémagog est toujours opposée à la vente d'une partie de la montagne. Dans la résolution adoptée à l'unanimité par son comité administratif jeudi, elle a tenu à réitérer au gouvernement «l'opinion régionale très largement opposée» à ce projet gouvernemental. Elle demandait ainsi que le gouvernement ne statue sur la vente du centre de ski et des terrains au pied des pentes «qu'après l'appel de projets», soit à la fin de l'été. Le ministre a refusé pour l'instant.
Selon Roger Nicolet, dans le contexte actuel, le ministre Béchard a tout intérêt à faire ce qu'il lui a «promis verbalement» lors d'une rencontre cette semaine, soit que «le comité qui sera mis en place pour la consultation serait responsable de l'évaluation des projets et que le gouvernement donnerait suite aux recommandations du comité». Or rien de tout cela n'est déterminé de façon formelle pour l'instant et la MRC attend le libellé du mandat qu'elle recevra de la part du ministre. «Si ce libellé n'est pas à la satisfaction de la MRC, a affirmé M. Nicolet, je pense que la MRC pourrait décider de renoncer à la démarche.» La condition? Qu'il s'agisse d'un mandat «avec des lendemains».
Le projet choisi devra être rentable, a aussi souligné M. Nicolet. Mais pour ce faire, doit-il nécessairement comporter des condominiums au bas des pentes, comme ne cesse de le répéter le président de Mont-Orford inc., André L'Espérance? «Le débat est lancé», a répondu M. Nicolet, dubitatif, mais la proposition de projet récréotouristique, soumise en commission parlementaire, comprenait quelques condominiums. Hier toutefois, il disait ceci: «La construction de condos dans la forme traditionnelle de l'opération est un coup d'argent que fait le promoteur. Ça n'assure aucune longévité économique des opérations récréotouristiques.» Selon lui, il n'est donc pas absolument nécessaire qu'il y ait des condominiums au mont Orford.