Les logements promis à l’îlot Voyageur se font toujours attendre

Près de cinq ans après l’achat par la Ville de Montréal de l’ancienne gare d’autocars située dans la portion sud de l’îlot Voyageur, l’administration de Valérie Plante n’a toujours pas fait connaître ses intentions quant au développement immobilier sur le site. L’opposition juge cette attente inacceptable compte tenu des besoins en matière de logement dans la métropole et de la nécessité de revitaliser ce secteur.
En 2013, à la suite du fiasco financier de l’îlot Voyageur, un projet piloté par l’UQAM, le Groupe Aquilini s’est porté acquéreur de la partie nord du site, qui comporte désormais des logements ainsi que la nouvelle gare d’autocars. En 2018, c’était au tour de la Ville de Montréal, qui a acheté l’immeuble situé au sud du quadrilatère au coût de 18 millions de dollars.
En 2020, la Ville avait indiqué qu’elle envisageait d’y installer un centre administratif et des logements sociaux et abordables. La pandémie et le télétravail ont toutefois amené l’administration municipale à revoir son projet, notamment en ce qui a trait à la proportion d’espace de bureaux. Mais aucune annonce n’a été faite par Montréal depuis.
Des retards
Deux organismes, soit le service de livraison Colibri et Les Valoristes, occupent temporairement une partie du bâtiment, mais l’opposition à l’Hôtel de Ville estime que l’administration Plante retarde indûment la réalisation du projet. « On a un bâtiment qui est à l’abandon depuis plusieurs années et dont la Ville est propriétaire. Elle a toute la capacité pour mettre en oeuvre un projet pour venir dynamiser le secteur et elle ne le fait pas », déplore le conseiller d’Ensemble Montréal et porte-parole de l’opposition officielle en matière de développement économique, Julien Hénault-Ratelle.
Montréal a d’ailleurs prolongé les ententes avec les deux organismes occupants jusqu’à la fin de 2024, ce qui laisse présager de nouveaux retards dans la réalisation d’un projet.
Après la transaction de 2018, l’administration Plante avait laissé entendre que les travaux pourraient débuter avant la fin de son premier mandat, ce qui n’a pas été le cas, rappelle M. Hénault-Ratelle. Puis, en décembre dernier, le responsable de l’habitation au comité exécutif, Benoit Dorais, évoquait une annonce imminente, « dans un futur proche ».
« Je pense que les citoyens s’attendent à mieux que huit ans de délais pour développer un site comme celui de la partie sud de l’îlot Voyageur », dit l’élu d’Ensemble Montréal.
Des études
Deux études de préfaisabilité avaient été réalisées par la firme Daoust Lestage, l’une en 2019 et l’autre en 2020, à la demande de la Ville. Le Devoir a pu consulter les documents obtenus par Ensemble Montréal en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics.
La première étude, remise en décembre 2019, proposait la construction de 327 logements, dont 175 via les programmes Accès Condos et Accès Condos +, de la Société d’habitation et de développement de Montréal, et 62 logements sociaux avec le programme AccèsLogis. Dans la seconde étude, datée de mai 2020, il était plutôt question d’un total de 279 logements, dont 62 condos, 90 logements sociaux et 127 logements locatifs.
Julien Hénault-Ratelle s’inquiète de l’absence de logements pour étudiants dans les plans, bien qu’en 2022, Benoit Dorais avait cette possibilité. « Quand on pense à ce site tellement névralgique au centre d’un quartier étudiant, à deux pas de l’UQAM, […] et qu’on n’en planifie aucun, ça, pour moi, c’est un enjeu majeur », dit-il.
L’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE) convient que ce site serait tout désigné pour des logements étudiants. « Considérant que l’administration Plante s’est engagée en campagne électorale à favoriser la construction de 2000 nouveaux logements étudiants abordables au cours de ce mandat, nous croyons qu’il serait logique qu’au moins une partie de ce terrain soit destinée au logement étudiant abordable, indique Maxime Pelletier, directeur adjoint aux affaires gouvernementales de l’UTILE. La présence accrue d’étudiants dans ce quartier pourrait d’ailleurs, à notre avis, contribuer grandement à la revitalisation du secteur. »
Ensemble Montréal juge aussi que le nombre de logements proposé par Daoust Lestage est insuffisant et qu’en réduisant les espaces destinés aux bureaux, il serait possible d’en prévoir 600. « On est en pleine crise du logement à travers la ville de Montréal. […] Le contexte a considérablement changé depuis la pandémie, et les besoins du point de vue de bureaux de travail au centre-ville ont beaucoup diminué », souligne M. Hénault-Ratelle.
Coordonnateur au Comité logement Ville-Marie, Éric Michaud craint pour sa part que les logements sociaux envisagés pour l’îlot Voyageur ne voient jamais le jour, d’autant que Québec a abandonné le programme AccèsLogis. « Si on n’est pas capable d’avoir d’inclusion de logements sociaux sur des terrains privés, il faudrait au moins que les terrains publics soient réservés au logement social. »
Dans une analyse réalisée l’an dernier, le Comité logement Ville-Marie a observé que les logements sociaux n’ont représenté en moyenne que 0,9 % des mises en chantier résidentielles dans cet arrondissement central entre 2017 et 2021.
Un « projet signature »
L’administration Plante n’a pas voulu accorder d’entrevue au sujet de l’avenir de l’îlot Voyageur. Dans une déclaration transmise au Devoir, le cabinet de la mairesse indique que la Ville a voulu prendre le temps de réévaluer les besoins en contexte postpandémique et qu’elle travaille sur un « projet signature ».
« Nous déployons actuellement un mandat accéléré avec des équipes de spécialistes qui étudient différents scénarios. Ce que nous souhaitons est un projet mixte, un véritable milieu de vie complet. Nous présenterons dès cette année une proposition tangible à la hauteur des ambitions et des besoins du secteur », a-t-on précisé.