Des manifestants arrêtés entre 2011 et 2015 veulent des excuses «sincères» de Montréal

Le 20 mai 2012, Isabel Matton (au premier plan), alors éducatrice à la petite enfance, avait été aspergée de poivre de cayenne et malmenée par des policiers à l’occasion d’une manifestation étudiante. Elle dit en avoir gardé des séquelles.  « J’ai encore peur de manifester », affirme-t-elle.
Jacques Nadeau Le Devoir Le 20 mai 2012, Isabel Matton (au premier plan), alors éducatrice à la petite enfance, avait été aspergée de poivre de cayenne et malmenée par des policiers à l’occasion d’une manifestation étudiante. Elle dit en avoir gardé des séquelles. « J’ai encore peur de manifester », affirme-t-elle.

Si elles sont satisfaites des 6 millions de dollars obtenus de la Ville de Montréal en guise d’indemnisations, les personnes victimes d’arrestations massives lors de manifestations tenues entre 2011 et 2015 jugent bien insuffisantes les excuses exprimées par l’administration municipale. Mardi, elles ont demandé à la mairesse Valérie Plante et au directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Fady Dagher, de reconnaître publiquement les torts qui leur ont été causés.

Une entente à l’amiable était intervenue en octobre dernier entre Montréal et les avocats associés aux 16 actions collectives intentées par les manifestants. Ces derniers ont obtenu un montant de 6 millions de dollars, même s’ils réclamaient 53,5 millions, ainsi qu’un engagement de la Ville d’afficher un texte d’excuses sur son site Internet pendant 90 jours.

Or, le court texte de trois paragraphes est quasi invisible : il n’apparaît que sous la forme d’un hyperlien sur la page du Service juridique de la Ville de Montréal et est difficile à trouver, ont déploré les représentants des actions collectives en conférence de presse.

Selon eux, ces « excuses au rabais » ne sont pas acceptables. « J’ai l’impression que même mon fils de 5 ans est capable de s’excuser avec plus de sincérité que l’administration municipale et le service de police », a soutenu Sophie Vallée-Desbiens, qui représente les personnes arrêtées lors de la manifestation du 1er mai 2013.

Selon les requérants, ces excuses publiées trop discrètement ne respectent pas l’esprit de l’entente et du jugement rendu le 22 février dernier par le juge de la Cour supérieure Martin Sheehan lors de son approbation de l’entente d’octobre dernier. Ils demandent donc que la mairesse Plante ainsi que le chef de police prennent la parole publiquement pour présenter leurs excuses et reconnaître les torts causés, comme l’ex-maire Denis Coderre l’avait fait en 2017 à l’endroit de la communauté LGBTQ, victime de discrimination entre les années 1960 et 1990.

Et les recommandations ?

« Mais au-delà de notre demande d’excuses, on voudrait que la mairesse et le Service de police nous indiquent comment ils vont mettre en pratique les recommandations que le juge Sheehan a faites afin que la police modifie ses comportements lors des manifestations », a expliqué Marcel Sévigny, qui représente un autre groupe de manifestants arrêtés en 2012.

Rappelons que les poursuites intentées concernaient des manifestations tenues entre 2011 et 2015 afin de dénoncer la brutalité policière et le règlement P-6 de la Ville. Ce règlement a d’ailleurs été modifié en 2016, puis abrogé en 2019.

Les manifestants s’opposaient entre autres à l’interdiction de porter un masque pendant une manifestation et à l’obligation de fournir un itinéraire aux forces de l’ordre avant toute manifestation spontanée.

Mardi, les représentants ont relaté les conditions dans lesquelles ils ont été détenus dans la foulée d’arrestations massives : ils ont été bousculés par les policiers, privés d’eau et de nourriture, sans pouvoir communiquer avec un avocat. Le 20 mai 2012, Isabel Matton, alors éducatrice à la petite enfance, avait été aspergée de poivre de cayenne et malmenée par des policiers à l’occasion d’une manifestation étudiante. Elle dit en avoir gardé des séquelles. « J’ai eu des ecchymoses aux côtes, aux bras, aux jambes pendant des semaines. J’ai fait, et je fais encore, des cauchemars, a-t-elle dit. J’ai encore peur de manifester. »

Le règlement des 16 actions collectives touche environ 3200 personnes, et les représentants des manifestants s’attendent à ce que chaque personne reçoive entre 1500 $ et 2000 $. On ignore pour l’instant combien de personnes ont fait une réclamation.

Mardi midi, la mairesse Plante a publié un message sur son compte Twitter. « Le droit de manifester est fondamental et nous le défendrons toujours. C’est pourquoi je réitère les excuses de la Ville de Montréal envers les personnes qui ont manifesté en 2012 et dont les droits ont été brimés par l’ancien règlement P-6, abrogé par notre administration », a-t-elle écrit. « L’entente qui a été conclue avec les victimes de l’ancien règlement P-6 témoigne de notre engagement à défendre leurs droits fondamentaux. »

Sophie Vallée-Desbiens ne considère pas que la déclaration de la mairesse sur le réseau social répond aux demandes des manifestants, qui réclamaient aussi des actions visant à changer les pratiques policières. « Ce n’est pas ce à quoi on pensait », a-t-elle indiqué.

« Ça va prendre plus qu’un message sur Twitter pour réparer les torts qu’ils ont causés et redonner confiance à la population sur le fait que la Ville et sa police peuvent respecter le droit de manifester. »

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