Discrimination raciale chez les cols bleus de Montréal-Nord

Le rapport du professeur Angelo Soares fait état de discrimination et de racisme systémique chez les cols bleus de Montréal-Nord.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Le rapport du professeur Angelo Soares fait état de discrimination et de racisme systémique chez les cols bleus de Montréal-Nord.

À la lumière de rapports d’experts faisant état de discrimination raciale chez les cols bleus de Montréal-Nord, la Ville de Montréal promet de mettre en place des mesures pour corriger la situation.

La mairesse Valérie Plante a qualifié de « déplorable » le racisme systémique dont sont victimes des cols bleus issus des minorités visibles à Montréal-Nord. « Maintenant que c’est dit, il faut passer à l’action. On va faire un comité de redressement. On veut amener des solutions très pratico-pratiques à même l’arrondissement de Montréal-Nord », a promis Mme Plante lorsque questionnée à ce sujet mercredi.

Dans le cadre d’une enquête réalisée à la demande du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, Angelo Soares, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, a rencontré 41 cols bleus et 8 contremaîtres, gestionnaires et directeurs de Montréal-Nord.

Il relève l’existence de racisme systémique et en conclut notamment que les cols bleus issus des minorités n’ont pas été traités équitablement et qu’ils ont été désavantagés dans les programmes de formation-évaluation pour les fonctions de chauffeurs de fardiers. Ces cols bleus issus de la diversité ont échoué à cette formation dans une proportion de 75 %, contre 25 % pour les employés blancs, et les préjugés des évaluateurs ne seraient pas étrangers à ces résultats, note le chercheur.

Plusieurs lacunes soulevées

 

Angelo Soares estime aussi que les compétences des cols bleus provenant de la diversité ne sont pas reconnues. Dans certains cas, les stéréotypes nuisent à leur promotion, sans compter le fait que le diplôme obtenu par certains travailleurs dans leur pays d’origine n’est pas pris en compte.

« Il existe une non-reconnaissance systématique des compétences des cols bleus issus des minorités visibles. Malheureusement, dans cette culture organisationnelle, la division raciale du travail place 61 % des cols bleus issus des minorités visibles dans les tâches ayant rapport à l’entretien ménager ou dans celles où la charge est avant tout physiquement exigeante », écrit M. Soares dans son rapport.

Le chercheur soulève aussi des lacunes en matière d’affichage de postes. Il cite le cas d’un employé qui avait soumis sa candidature pour un poste, mais qui ne l’a pas obtenu en raison d’une erreur de la part de l’employeur. C’est finalement un employé blanc détenant moins d’ancienneté qui l’a obtenu. « Il est clair qu’un tel processus possède des ingrédients à saveur raciste », souligne M. Soares.

Angelo Soares évoque des cas de racisme direct, comme celui d’une col bleu qui a été traitée de « sale n… » . Si l’employée a reçu l’appui de collègues et de gestionnaires, certains employés blancs qui n’avaient pas assisté à la scène ont nié l’existence de l’événement, prenant plutôt le parti de l’agresseur.

Le rapport fait également état de « ségrégation » à la cafétéria, d’un manque de cohésion sociale au sein des équipes et de harcèlement psychologique.

Une situation déjà dénoncée

Ces enquêtes avaient été lancées à la suite de la création d’une page Facebook en novembre 2019 par un groupe baptisé « Collectif des minorités visibles discriminées de la ville de Montréal-Nord », formé de cols bleus qui se disaient victimes de racisme.

À l’époque, la conseillère et mairesse suppléante de Montréal-Nord, Chantal Rossi, avait rejeté ces allégations. « Il n’y a pas de discrimination raciale. La fierté de Montréal-Nord, c’est sa diversité. Est-ce que vous pensez sérieusement qu’un employé noir peut être traité différemment ? La réponse pour moi est non », avait-elle affirmé lors d’une entrevue à TVA.

Et bien que Mme Rossi eût nié que des sanctions avaient été imposées, le délégué syndical des cols bleus de Montréal-Nord avait été suspendu sans solde, souligne M. Soares dans son rapport.

Angelo Soares formule une série de recommandations. Même si la Ville de Montréal a mis en place une politique du respect de la personne, elle devrait indiquer clairement les mécanismes de plaintes pour harcèlement psychologique ou pour discrimination raciale, dit-il. Les sanctions imposées relativement à la création de la page Facebook du collectif devraient être annulées. La Ville devrait aussi offrir des formations pour prévenir le racisme et la discrimination.

Au syndicat, l’expert recommande une plus grande attention quant au respect de la convention collective et une meilleure formation des délégués syndicaux sur les enjeux de racisme et de discrimination. Il suggère aussi au syndicat de créer un mécanisme afin de centraliser et de comptabiliser les plaintes, ainsi que de mieux accompagner ses membres dans le dépôt de griefs.

Ce rapport s’ajoute à celui commandé par la Ville de Montréal à Tania Saba, professeure de relations industrielles à l’Université de Montréal, et dont La Presse faisait état mercredi. Les constats faits par la chercheuse présentent des similitudes avec ceux d’Angelo Soares.

Réactions syndicales

 

Dans un communiqué, le Syndicat des cols bleus affirme qu’il mettra rapidement en place les recommandations qui lui sont faites. Les dirigeants syndicaux rencontraient d’ailleurs leurs membres mercredi afin de leur présenter le contenu du rapport d’Angelo Soares.

Le syndicat demande par ailleurs à la Ville et à l’arrondissement de Montréal-Nord d’apporter les correctifs nécessaires.

Pour la mairesse suppléante de Montréal-Nord et membre d’Ensemble Montréal, Chantal Rossi, les conclusions des rapports sont « aussi surprenantes qu’inacceptables ». Selon elle, les pratiques discriminatoires doivent cesser et la Ville de Montréal devrait mettre en place une ligne de dénonciation indépendante et confidentielle pour les victimes de discrimination.

« Aucun employé dans aucun arrondissement ne doit craindre d’être pénalisé parce qu’il a le courage de dénoncer », soutient-elle.

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