Des voix s’élèvent pour un moratoire sur les expulsions de locataires en hiver

Des associations de locataires estiment que les expulsions de locataires devraient être interdites en hiver, comme c’est le cas en France depuis 1956. Bien qu’une trêve ait été accordée pendant la première vague de la pandémie de COVID-19, la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, n’envisage pas pour l’instant cette option.
Les images de meubles empilés dans la rue en plein mois de janvier devant un immeuble de la rue de Brébeuf, dans le Plateau Mont-Royal, relayées lundi par la députée de Québec solidaire Ruba Ghazal, ont créé beaucoup d’émoi sur les réseaux sociaux. Claudia Leduc, qui habite la maison voisine, a assisté à la scène de l’huissier et des déménageurs venus vider l’appartement le 14 janvier dernier. « On venait de commencer avec le couvre-feu. Comme c’était l’hiver, il faisait froid et il y avait de la neige. Le locataire s’est retrouvé sur le trottoir, désemparé. Il n’était pas sûr de pouvoir récupérer ses affaires et de se trouver un logement. Voir quelqu’un qui perd sa vie, c’est triste », relate-t-elle.
S’il s’est retrouvé dans la rue, c’est que le Tribunal administratif du logement a autorisé son expulsion pour non-paiement de loyer. La décision du Tribunal rendue le 23 décembre dernier précise que le locataire a omis de payer son loyer pendant cinq mois.
Le député de Québec solidaire Andrés Fontecilla reconnaît que le propriétaire était en droit d’expulser son locataire. « Mais au-delà de ce cas spécifique, cette situation met en lumière l’intense activité spéculative des immeubles locatifs dans les quartiers centraux de Montréal et à Québec. La machine est emballée. »
Car ce qui a aussi fait réagir sur les réseaux sociaux, c’est que, peu après cette expulsion, le propriétaire a mis en vente l’immeuble pour 1,35 million de dollars, alors que, selon l’acte de vente, il l’avait acheté en juin 2020 pour 857 500 $. Et l’annonce — qui a été modifiée depuis — clamait : « Voici votre chance d’acquérir un triplex et d’en disposer comme bon vous semble sans se soucier des locataires. »
Au-delà de ce cas spécifique, cette situation met en lumière l’intense activité spéculative des immeubles locatifs dans les quartiers centraux de Montréal et à Québec.
Joint par Le Devoir, le propriétaire a nié être un spéculateur insensible au sort des locataires. Il dit avoir reçu des messages haineux et des menaces en plus d’avoir été victime de vandalisme, mouvement qui s’est amplifié avec la publication par Ruba Ghazal des images du locataire expulsé. « Je subis énormément de préjudices, explique Karl Boissonneault. Je ne suis pas une entreprise qui a des millions de dollars et qui joue à évincer des locataires sans raison. »
Il indique avoir acquis l’immeuble pour y loger sa famille au rez-de-chaussée, mais qu’il a abandonné cette idée après la vague de menaces reçues. Quant au libellé de l’annonce, il soutient ne pas avoir participé à sa rédaction.
L’exemple de la France
Maxime Roy-Allard, du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), déplore que le moratoire sur les expulsions imposé lors de la première vague de la pandémie ait été levé dès le mois de juillet l’an dernier. « L’Ontario a maintenu son moratoire dans les derniers mois et a imposé un gel des loyers pour toute l’année. Ici, il n’y a aucune mesure supplémentaire qui a été mise en place pour protéger les locataires durant la pandémie », indique Maxime Roy-Allard.
Selon lui, le Québec devrait aller plus loin et suspendre les expulsions en hiver, comme le fait la France de novembre à avril depuis des décennies, « alors que l’hiver est beaucoup moins rigoureux là-bas qu’ici ».
Le député Andrés Fontecilla plaide aussi pour une meilleure protection des locataires. Outre un moratoire sur les expulsions pendant la pandémie, il réclame l’implantation d’un registre des loyers ainsi qu’un encadrement plus sévère des « réno-victions » pour les propriétaires qui invoquent des rénovations, une subdivision des lieux ou un agrandissement pour justifier l’expulsion de leurs locataires. Il entend aussi déposer un projet de loi, mercredi, sur l’imposition d’un gel des loyers pour l’année 2021.
La ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, n’envisage pas un tel gel des loyers ni un moratoire sur les expulsions. « Le Québec a déjà un mécanisme en place pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’augmentation abusive et qui [tient] compte notamment du contexte économique », a indiqué par courriel son cabinet.