Montréal dévoile son plan hivernal pour les itinérants

Quelque 1650 places en refuge seront offertes cette année aux sans-abris.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Quelque 1650 places en refuge seront offertes cette année aux sans-abris.

Quelque 1650 places en refuge seront mis à la disposition des itinérants cet hiver à Montréal. Un plan d’aide « sans précédent » qui a toutefois reçu un accueil mitigé au sein d’organismes et parmi les principaux concernés.

« Plus jamais je ne mettrai les pieds dans un refuge ou un hôtel », lance d’un ton catégorique Jacques Brochu, l’un des nombreux campeurs installés depuis plusieurs mois en bordure de la rue Notre-Dame, dans Hochelaga-Maisonneuve.

L’homme fraîchement sexagénaire réagissait à l’annonce faite conjointement jeudi par Québec et la Ville de Montréal. Avec 1650 places créées entre le 1er novembre et le 31 mars pour les sans-abri de la métropole, c’est 700 de plus que l’hiver dernier. De ce nombre, environ 380 lits seront offerts à l’Hôtel Place Dupuis, au centre-ville. L’organisme Mission Bon Accueil pilotera ce refuge temporaire de nuit.

Des espaces y seront spécifiquement aménagés pour les couples, les personnes transgenres et celles à mobilité réduite. Quant aux femmes, elles auront accès à un étage non mixte et à du transport réservé.

Un service de navette, via les autobus de la Société de transports de Montréal (STM), doit assurer la liaison entre les ressources pour éviter aux itinérants de s’y rendre dans le froid.

Neuf « haltes-chaleur » — soit six de plus que l’an dernier — verront aussi le jour, pour un total de 270 places, dont certaines réservées aux femmes. On retrouvera ces haltes aux quatre coins de la métropole, incluant à Lachine, à Montréal-Nord et dans Côte-des-Neiges.

Plusieurs de ces « locaux chauffés » seront équipés de « couchettes » pour permettre aux gens « de se reposer », voire d’y passer la nuit, a détaillé Sonia Bélanger, p.-d.g. du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. « On regarde aussi la possibilité d’ouvrir des places supplémentaires pour les clientèles COVID », a-t-elle ajouté.

Un centre de jour doté d’un service d’aide alimentaire ouvrira également ses portes au Grand quai du Vieux-Port. Plus de 300 personnes pourront s’y abriter pour manger, a fait savoir le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant.

« Prison dorée »

Attirant pour certains campeurs, le projet n’enchante guère Jacques Brochu, qui garde un souvenir amer de son passage dans l’un des hôtels réquisitionnés au printemps par la Ville pour loger des itinérants. Malgré l’immensité de sa chambre, sise au cinquième étage de l’hôtel Chrome, il s’est rapidement senti à l’étroit. Se disant privé de contacts humains, en plein cœur d’un centre-ville qu’il connaît mal, le souriant gaillard a détesté vivre dans cette « prison dorée ».

Il préfère le campement Notre-Dame, même sous la neige. La chute du mercure ne l’effraie pas, confiant de pouvoir se protéger du vent et du froid avec sa « débrouillardise » et ses idées « à la fois saugrenues et géniales ». Il s’apprête justement à recouvrir sa tente d’une toile à bâche et à l’isoler avec des bouteilles de plastique enveloppées de papier-bulle. À l’intérieur, une poignée de bougies lui sert de chauffage de fortune.

L’idée de passer l’hiver en bordure de la rue Notre-Dame ne plaît toutefois pas à tous. Daniel, voisin de Jacques, lorgne l’hôtel de la place Dupuis. Rémi Fleurent, lui, vient tout juste de dénicher un appartement dans le quartier Centre-Sud, soulagé. L’homme de 76 ans compte amener avec lui quatre ou cinq autres campeurs, dont « l’homme de sa vie », qu’il a rencontré cet été.

Plus de logements

 

Un logement, c’est également ce que souhaiterait Jacques Brochu, comme « 100 % des campeurs », certifie-t-il. Celui-ci raconte avoir été expulsé de son appartement de la rue Nicolet en février, victime d’une « rénoviction ». « Deux choses pourraient me faire quitter ma tente : un logement ou la mort. »

« Quelqu’un qui se trouve en situation d’itinérance veut un logement permanent, pas un refuge, pas une espèce de matelas sur un plancher à quelque part », a fait valoir jeudi le directeur de la Mission Bon Accueil, Samuel Watt.

Présent au point de presse, il a salué le plan hivernal — un « grand succès de collaboration » entre plusieurs organismes —, mais appelé les élus à la réflexion. « Des mesures temporaires restent temporaires. On devrait profiter de la crise pour repenser la façon dont on fait les choses. »

Un avis qui trouve écho au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM). « C’est un plan historique : c’est la première fois à Montréal qu’on voit en aussi grand nombre des services offerts de façon décentralisée », réagi l’organisatrice communautaire Mariana Racine Méndez. Or, celle-ci craint qu’une fois la pandémie passée, ce « virage » n’ait été qu’éphémère. « La crise du logement et celle des surdoses ne cesseront pas après la pandémie. »

Mme Méndez s’inquiète également de l’après 31 mars, alors que le froid sera toujours présent. « On demande un minimum de services jusqu’au 1er mai », dit-elle, ajoutant qu’une profonde réflexion doit s’amorcer pour offrir ce genre de services à l’année. « Il faut arrêter de penser en fonction de la température. »

Québec réfléchit actuellement à des « solutions de logement » permanentes, a indiqué le ministre Lionel Carmant, précisant que 26 baux ont été signés dans le cadre du programme de supplément au loyer.

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