Que restera-t-il de la station Craig?

Construite en 1887 pour contrer la crue des eaux et protéger la ville des inondations, la station de pompage était inutilisée depuis trois décennies.
Photo: JACQUES NADEAU LE DEVOIR Construite en 1887 pour contrer la crue des eaux et protéger la ville des inondations, la station de pompage était inutilisée depuis trois décennies.

Un autre morceau de patrimoine est sérieusement menacé. L’ancienne station de pompage Craig, située à proximité du pont Jacques-Cartier, devra être démantelée en tout ou en partie, a appris Le Devoir. L’administration de Valérie Plante a dû se résoudre à cette conclusion après que des rapports d’inspection eurent démontré son état de dégradation avancée. Dans l’immédiat, sa cheminée sera retirée, mais la Ville ignore encore quels éléments du bâtiment historique pourront être préservés.

Construite en 1887 pour contrer la crue des eaux et protéger la ville des inondations, la station de pompage était inutilisée depuis trois décennies. L’an dernier, l’administration Plante avait émis le souhait de lui donner une nouvelle vocation et un montant de quatre millions de dollars avait même été inscrit au Programme triennal d’immobilisations pour sa restauration.

Cette somme servira maintenant à la déconstruction de la cheminée et des autres éléments qui ne pourront être conservés, a indiqué au Devoir le responsable de la stratégie immobilière au comité exécutif, Robert Beaudry.

« Un cas de négligence »

Mandatée par la Ville, la firme d’ingénierie Cosigma a procédé à une inspection des lieux en novembre dernier. Elle a notamment constaté que les murs extérieurs sont déformés, que des briques tombent de la corniche nord, que la cheminée comporte des fissures importantes et qu’au sous-sol, le mortier « s’enlève comme du sable ». Le rapport obtenu par Le Devoir grâce à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics est lourdement caviardé, mais Robert Beaudry confirme que les recommandations des experts ne laissaient pas d’espoir de conserver l’intégrité du bâtiment.

« C’est clairement un cas de négligence des administrations précédentes », soutient M. Beaudry. Comme l’état de détérioration de la cheminée exige une intervention rapide pour des raisons de sécurité, le Comité consultatif d’urbanisme de Ville-Marie s’est réuni d’urgence jeudi pour permettre à la Ville de procéder à son démantèlement. « Par la suite, on fera une auscultation plus poussée pour voir ce qui peut être conservé. On veut élaborer un projet de mise en valeur du site. On ne baisse pas les bras », a dit l’élu, tout en admettant qu’une partie importante de l’immeuble pourrait disparaître. Le sous-sol abriterait toujours les pompes à moteurs ainsi que des tunnels, témoignage de la fonction du bâtiment.

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La station de pompage ne sert plus depuis une trentaine d’années. Le bâtiment s’est détérioré et on ignore pour le moment ce qui pourra être sauvé.

Désignée comme un immeuble de valeur patrimoniale exceptionnelle par la Ville, l’ancienne station de pompage est l’un des derniers vestiges de la période industrielle de Montréal. Elle avait été érigée tout près de la prison du Pied-du-Courant, en bordure d’un quartier populaire. Depuis, le pont Jacques-Cartier a été construit (1925-1930) et, non loin de là, le Faubourg à m’lasse a été rasé (1964) pour faire place à la Maison de Radio-Canada, ce qui fait qu’aujourd’hui, l’ancienne station de pompage se trouve entourée de voies rapides, dans un secteur difficilement accessible pour les piétons et les cyclistes.

Dans le Programme particulier d’urbanisme des Faubourgs, qui a fait l’objet de consultations au printemps dernier par l’Office de consultation publique de Montréal, la Ville signalait déjà son intention de recréer la grille de rues de manière à désenclaver ce secteur. Elle souhaitait alors mettre en valeur la station de pompage et lui trouver une nouvelle vocation. Des négociations seront menées avec le ministère des Transports du Québec au sujet de l’aménagement des rues, a précisé Robert Beaudry.

S’il blâme les administrations précédentes pour la dégradation du bâtiment, Robert Beaudry se dit déterminé à faire en sorte que le sort réservé à la station de pompage demeure une exception. Il a d’ailleurs demandé au Service de la gestion et de la planification immobilière de produire un inventaire de l’état de tous les bâtiments patrimoniaux qui sont propriété de la Ville et d’élaborer un plan d’action pour assurer la préservation de cet actif immobilier. À plus court terme, un tel plan sera présenté pour les bâtiments patrimoniaux de l’arrondissement de Ville-Marie.

Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal, déplore la négligence de la Ville dans ce dossier au fil des dernières décennies. « La station de pompage Craig est un bâtiment insolite. Il n’est pas anodin. Mais la Ville ne s’en est pas préoccupée pendant des années. »

Informé par la Ville de la nécessité de démanteler la cheminée d’urgence, M. Bumbaru a demandé une rencontre avec M. Beaudry. « On comprend la question de la cheminée, mais on a besoin de comprendre ce que la Ville a en tête pour le reste du bâtiment », dit-il.

Le cas de la station Riverside

 

La station de pompage Craig a une soeur : la station Riverside, située sur la rue du même nom, à l’ouest du centre-ville. Construite à la même époque que la station Craig et dessinée par les mêmes architectes, Maurice Perrault et Albert Mesnard, la station de pompage Riverside appartient elle aussi à la Ville. Mais elle est en bien meilleur état puisque les Forges de Montréal, l’OBNL qui l’occupe depuis le début des années 2000, ont investi quelque 600 000 $ pour la restaurer et l’entretenir.

En 2016, le Service de la gestion et de la planification immobilière de la Ville — le même qui n’a pas été en mesure de conserver la station de pompage Craig en bon état — avait menacé les Forges d’expulsion sous prétexte que l’organisme n’avait pas respecté la clause du bail qui l’obligeait à investir au moins un million de dollars dans la rénovation du bâtiment. L’affaire s’était finalement réglée, mais cet épisode avait mis en péril la survie de l’OBNL. Aujourd’hui, la station de pompage Riverside est un lieu de diffusion du savoir-faire et des métiers de la forge traditionnelle.

« C’est là que l’on voit que la clé de la sauvegarde des bâtiments patrimoniaux, c’est leur occupation, note Dinu Bumbaru. Dans ce dossier, on ne peut pas dire que les Forges ont été aidées par la Ville. Les forgerons ont eu la tête dure et ont tenu le coup. »

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