Montréal décrète la fin du règlement P-6

Le règlement P-6 obligeait les manifestants à fournir leur itinéraire lors de manifestations et interdisait le port d’un masque.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Le règlement P-6 obligeait les manifestants à fournir leur itinéraire lors de manifestations et interdisait le port d’un masque.

Le règlement P-6, adopté en 2012 pour contrôler les manifestations, sera abrogé, a annoncé mercredi la mairesse Valérie Plante qui estime que les policiers disposent d’outils législatifs suffisants pour intervenir lors de rassemblements. La mise au rancart du règlement P-6 a été accueillie avec satisfaction dans les rangs des militants et des organisations qui, depuis des années, dénoncent cet outil de « répression ».

Le règlement P-6 avait été adopté sous l’administration de Gérald Tremblay en plein printemps étudiant. Les manifestants étaient alors tenus de fournir leur itinéraire aux policiers lors de manifestations et il leur était interdit de se couvrir le visage « sans motif raisonnable » avec un foulard ou un masque.

Ces règles avaient donné lieu à des arrestations de masse lors du Printemps érable de 2012 et à la distribution de constats d’infractions aux amendes salées.

 

 

 

En 2015, la Ville avait annulé 2000 contraventions après que le juge Randall Richmond, de la Cour municipale, eut acquitté trois manifestants. Puis, en 2016, la Cour supérieure et la Cour d’appel ont invalidé les deux articles les plus controversés, soit celui du masque et celui sur l’itinéraire.

La mairesse Plante estime que le règlement P-6 n’a plus sa place. « Il est important de préserver les droits des Montréalais et des Montréalaises à manifester. Je constate que les Montréalais manifestent, dans la grande majorité des cas, de façon très pacifique. J’en prends pour exemple cette belle manifestation pour le climat. Il y avait 500 000 personnes. Tout s’est bien passé », a-t-elle expliqué.

Selon la mairesse, le Code de la sécurité routière, le Code criminel ainsi que le Règlement concernant la paix et l’ordre sur le domaine public (P-1) font en sorte que le P-6 n’est pas nécessaire. Lorsque le parti était dans l’opposition, Projet Montréal prônait d’ailleurs la disparition du règlement litigieux.

Précisons que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) n’appliquait plus le règlement P-6 depuis les décisions des tribunaux et avait cessé de statuer sur l’illégalité des manifestations.

L’abrogation du règlement survient 50 ans après la création du règlement initial sur les manifestations adopté le 12 novembre 1969 par l’administration de Jean Drapeau pour limiter les débordements.

Des articles contestés

 

Ce dénouement a réjoui Julien Villeneuve, alias Anarchopanda. « Je suis très satisfait de la décision. C’est la bonne chose à faire ». Selon lui, non seulement ce règlement portait atteinte aux libertés, mais il était aussi « mal écrit et irrationnel ».

Le règlement P-6 était en fait une version révisée du règlement 3926 de l’ère Drapeau. Les termes trop vagues accordaient aux policiers une marge de manoeuvre exagérée et les ajouts faits par l’administration Tremblay en 2012 n’ont rien arrangé, estime M. Villeneuve.

Il cite à titre d’exemple l’article sur les attroupements et les itinéraires. « Le règlement ne précise pas ce qu’est un attroupement. Le Code criminel indique que c’est trois personnes ou plus. Donc, si tu sors avec deux autres personnes sur le domaine public, tu es censé dire au chef de police où tu t’en vas. C’est sûr que ce n’était pas appliqué comme ça. Mais parfois, les règlements sont écrits de manière tellement large que la police fait ce qu’elle veut avec », relate Julien Villeneuve.

Ces deux articles ne sont pas les seuls à poser problème. D’autres articles manquent de clarté. Julien Villeneuve évoque l’article 3.1 qui interdit la possession d’un objet contondant « qui n’est pas utilisé aux fins auxquelles il est destiné » de même que l’article 5 qui permet au comité exécutif d’interdire les assemblées et attroupements, s’il a des motifs de croire que cela menace la sécurité et l’ordre public.

« Il était temps. […] Ce règlement violait les libertés fondamentales et la liberté d’expression et de réunion pacifique », estime aussi l’avocate Me Sibel Ataogul, qui avait représenté Julien Villeneuve et d’autres manifestants.

Actions collectives

 

La plupart des accusations portées contre des manifestants se sont soldées par des acquittements, des retraits et des non-lieux. Mais l’abrogation du règlement ne met pas fin aux démêlés judiciaires puisque 16 actions collectives liées aux arrestations de masse ont été intentés contre la Ville de Montréal et le SPVM. Me Sibel Ataogul et ses collègues pilotent huit d’entre eux et l’avocat Marc Chétrit mène les huit autres. Celui-ci n’a pas voulu commenter l’abrogation du règlement mercredi compte tenu des procédures toujours en cours.

Pour sa part, la Ligue des droits et libertés voit la décision de l’administration comme une victoire pour le droit de manifester et la liberté d’expression à Montréal.

La Ligue estime aussi que le SPVM a aussi fait du profilage politique en effectuant des arrestations en vertu du P-6. À la suite de sa plainte, la Commission des droits de la personne et les droits de la jeunesse a d’ailleurs déposé une poursuite contre le SPVM à cet effet, rappelle Lynda Khelil, responsable de la mobilisation à la Ligue des droits et libertés.

Un avis de motion pour l’abrogation de P-6 sera déposé à la prochaine assemblée du conseil municipal prévue lundi prochain. Son adoption devra être entérinée par les élus à l’assemblée du mois de décembre.

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