Y a-t-il trop d’abeilles à Montréal?

On dit souvent qu’il faut sauver les abeilles pour assurer la production alimentaire de la planète. À Montréal, c’est plutôt le trop grand nombre d’abeilles qui pose problème. L’engouement autour de l’apiculture urbaine a entraîné une prolifération des ruches au cours des dernières années et des experts exhortent maintenant la Ville à réglementer cette activité.
« Il y a un gros buzz autour des abeilles actuellement. Il y a beaucoup de gens qui s’imaginent qu’avec une ruche, ils vont contribuer à la sauvegarde des abeilles, mais ça ne tient absolument pas debout », avance l’apiculteur Alain Péricard, auteur de L’abeille et la ruche.
Au cours des dernières années, le nombre de ruches a explosé dans la métropole. En 2010, il y en avait une dizaine. On en compterait désormais 1200 sur les toits de résidences, d’entreprises ou d’organismes communautaires, particulièrement dans le centre-ville et les arrondissements centraux. Expertes de la pollinisation, les abeilles représentent un outil inestimable pour faire de la pédagogie et de la sensibilisation à l’écosystème urbain et au rôle des pollinisateurs.
Développement anarchique
Or, le peu de contraintes réglementaires a donné lieu à un développement anarchique de cette pratique. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation impose bien certaines règles, comme l’interdiction d’installer une ruche à moins de 15 mètres d’une habitation, mais plusieurs experts s’entendent pour dire qu’on observe maintenant une surpopulation d’abeilles à Montréal.
« Il y a eu des situations inquiétantes à l’été 2018 », relate Gabrielle Lamontagne-Hallé, présidente du conseil d’administration de Miel Montréal. « On a vu du cannibalisme dans certaines ruches et des abeilles qui allaient chercher des ressources dans les poubelles parce qu’il pleuvait très peu. […] Certaines étaient très agressives quand on allait visiter les ruches. Il y avait clairement des irritants pour elles. »
Il y a un gros «buzz» autour des abeilles actuellement. Il y a beaucoup de gens qui s’imaginent qu’avec une ruche, ils vont contribuer à la sauvegarde des abeilles, mais ça ne tient absolument pas debout.
L’organisme soupçonne que la trop forte densité de ruches dans certains secteurs et l’insuffisance des ressources florales sont à la source du problème de comportement des abeilles. La situation a été moins problématique cette année, possiblement en raison d’un été moins chaud.
En 2018, la Maison du développement durable (MDD) a installé une ruche sur le toit de son bâtiment de la rue Sainte-Catherine. « Comme plusieurs organisations, on pensait que c’était la bonne chose à faire, qu’on allait encourager l’apiculture urbaine et qu’on allait aider les abeilles », explique Claudie Gariépy, responsable des communications à la MDD. « Mais à l’automne, quand est venu le temps de démonter la ruche pour l’hibernation, on s’est rendu compte qu’une grande quantité d’abeilles étaient décédées. »
L’organisme en est venu à la conclusion que les ressources mellifères dans le centre-ville étaient insuffisantes et l’expérience n’a pas été répétée cette année.
Réglementation
Alain Péricard croit que l’apiculture en ville devrait être pratiquée à des fins communautaires uniquement. Il cite le cas de l’Accueil Bonneau qui dispose de plusieurs ruches dans le cadre de son programme de réinsertion sociale.
Apiculteur lui-même, il estime que l’inexpérience des apiculteurs urbains pourrait causer des problèmes sanitaires dans les ruches, non seulement à Montréal, mais aussi ailleurs au Québec. Il évoque notamment la loque américaine, une maladie contagieuse qui, selon lui, serait présente dans le cheptel montréalais : « Le seul remède contre la loque américaine, c’est de brûler les ruches avec les abeilles, car c’est tellement contagieux. »
Et en raison des allergies d’une partie de la population au venin d’abeille, la présence de ruches en ville représente un enjeu de santé publique important qui requiert une grande prudence, ajoute Alain Péricard.
Au cours des dernières années, les cas d’essaimage, un processus naturel au cours duquel une colonie d’abeilles se divise, se sont aussi multipliés.
À l’instar d’Alain Péricard, Miel Montréal estime que le temps est venu pour la Ville de réglementer les activités d’apiculture à Montréal. La Ville pourrait exiger l’obtention d’un permis et obliger les propriétaires de ruches à suivre une formation et à prévoir l’aménagement d’espaces fleuris à proximité de leur ruche, suggère l’entreprise.
L’administration de Valérie Plante ne ferme pas la porte à une réglementation éventuelle dans ce domaine. En 2017, un groupe de travail mandaté pour faire le point sur l’apiculture urbaine à Montréal avait suggéré d’agir en matière de sensibilisation et de responsabilisation des propriétaires de ruches, mais pas de réglementer cette activité.
Responsable de la transition écologique et de l’agriculture urbaine au comité exécutif, Laurence Lavigne Lalonde n’est pas prête à dire qu’il y a trop de ruches à Montréal. Selon elle, il faut prendre en considération l’environnement et agir de façon à s’assurer que les ressources alimentaires sont suffisantes pour les abeilles : « Ça réglerait peut-être une partie du problème. » L’élue compte toutefois réexaminer le dossier avec le comité de travail en 2019.