Une course à la chefferie serait «néfaste» pour le SPVM

Estimant avoir rempli son mandat à la tête du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Martin Prud’homme retournera bientôt à la Sûreté du Québec (SQ). Avant de partir, il suggère que le prochain chef du SPVM soit l’un de ses adjoints issus de l’externe. Recruter un nouveau directeur au sein des troupes actuelles n’aurait pas été accepté par les policiers, fait-il valoir.
« C’est unanime en ce qui concerne les cadres et de la Fraternité des policiers et policières. Il n’y a personne qui veut quelqu’un à l’interne présentement comme directeur ou directrice », a expliqué M. Prud’homme en entrevue au Devoir.
Le directeur provisoire du SPVM soutient que ce point de vue est basé sur des centaines de témoignages recueillis jusqu’à la semaine dernière. La situation demeure fragile au sein du SPVM. Dans le contexte actuel, une course à la chefferie risque de créer une guerre de clans néfaste à l’organisation. Recruter quelqu’un de l’interne aurait représenté un « risque », ajoute-t-il.
La continuité
Martin Prud’homme avait été nommé à la tête du SPVM en décembre 2017 après la suspension de Philippe Pichet. Il se donnait alors un an pour changer les valeurs de l’organisation embourbée dans une grave crise.
Il estime aujourd’hui qu’entre 75 et 90 % des problèmes ont été réglés. « Mais je fais la comparaison avec un régime : c’est bien de perdre des livres, mais il faut les maintenir. Alors, la continuité est aussi importante que les corrections que j’ai apportées. »
C’est pourquoi, dans la foulée de son rapport final rendu public mardi, il suggère que le prochain chef soit l’un des deux adjoints qui avaient été recrutés à l’extérieur de l’organisation. Il s’agit de Line Carbonneau, ancienne sous-commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), et de Sylvain Caron, ex-directeur adjoint à la SQ.
« Ce sont des gens d’expérience en fin de carrière. Ces deux personnes m’ont clairement dit qu’elles le faisaient pour l’organisation et que peu importe le choix, elles resteraient au service. »
Plusieurs cadres au sein du service sont en bonne position pour éventuellement occuper le poste de directeur, note par ailleurs Martin Prud’homme, mais pas immédiatement, et ils auront besoin d’acquérir une expérience supplémentaire, précise-t-il.
Pour préparer la relève, le directeur par intérim propose la mise en place d’un plan s’inspirant du Programme de relève de la haute fonction publique que gère le Secrétariat aux emplois supérieurs du gouvernement du Québec. « Dans deux, trois ans, il va y avoir une belle relève à l’interne », affirme Martin Prud’homme.
Le BEI
La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, juge que choisir un membre de l’actuel comité de direction comme chef est une bonne idée. En revanche, la ministre s’est abstenue d’appuyer une des recommandations plus controversées de M. Prud’homme, soit de mettre le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) à l’écart des enquêtes d’allégations criminelles visant des policiers du SPVM.
Dans son rapport, Martin Prud’homme suggère que ces enquêtes soient confiées à une équipe mixte d’enquête cogérée par le SPVM et la SQ. Il se défend toutefois de vouloir tasser le BEI, expliquant plutôt que la Loi sur la police oblige les corps de police à mener eux-mêmes leurs enquêtes internes. En raison des problèmes qui ont touché la Division des enquêtes internes du SPVM, une exception avait été décrétée temporairement par Québec pour ce corps de police.
« Le SPVM n’est pas apte à reprendre ces enquêtes seul », estime Martin Prud’homme. Québec pourrait transférer les dossiers au BEI, « mais ça va demander un changement de loi pour le faire », précise-t-il.
Mme Guilbault a l’intention d’étudier la proposition. De son côté, la mairesse Valérie Plante croit que le BEI a toujours sa place dans les enquêtes.
Vérification interne
Martin Prud’homme souligne aussi dans son rapport que la formation des enquêteurs au SPVM est déficiente. Ainsi, souligne-t-il, 261 des 753 policiers qui exercent une fonction d’enquête, soit plus du tiers d’entre eux, ne détiennent pas le diplôme de formation requis. La Ville et le SPVM doivent remédier à cette lacune, dit-il, estimant possible de le faire en vingt-quatre mois.
Pour rétablir la confiance du public, le SPVM doit se doter d’un mécanisme d’auto-évaluation, croit également M. Prud’homme. Un bureau de vérification interne, sous la responsabilité du directeur, pourrait réaliser des contrôles budgétaires et évaluer les programmes, écrit-il.
Il souligne que la centralisation de certains services à la Ville de Montréal a entraîné des problèmes pour le Service de police. Il recommande donc de redonner la responsabilité de la gestion des ressources humaines et financières au SPVM.
Nomination imminente
La mairesse Valérie Plante a accueilli favorablement les quatorze recommandations formulées par Martin Prud’homme et promet d’en assurer un « suivi serré ».« Le SPVM a besoin de stabilité pour pouvoir se transformer, un principe auquel nous adhérons », a-t-elle commenté.
Le processus de sélection du prochain chef se fera promptement. Mais d’emblée, la mairesse se dit à l’aise avec la suggestion de M. Prud’homme de confier le poste à l’un de ses deux adjoints actuels.
Le comité de sélection a déjà commencé son travail, a-t-elle dit. Le choix de l’administration Plante devra aussi recevoir l’approbation de Québec. Dès l’assemblée du Conseil municipal du 19 novembre prochain, la mairesse souhaite que les élus entérinent la nomination du nouveau chef.
Selon elle, certaines recommandations nécessiteront davantage d’analyse, comme celle suggérant le rapatriement au SPVM des ressources humaines et des finances. D’autres constats l’ont étonnée, comme les lacunes en matière de formation des enquêteurs. « Il faut agir immédiatement. On va travailler avec le nouveau chef de police le plus rapidement possible », a-t-elle dit.
La mairesse a ajouté que son administration travaillait sur deux chantiers jugés prioritaires, soit celui de la transparence et celui de la représentativité et du profilage au sein du SPVM.
L’opposition à l’Hôtel de Ville trouve que dans son empressement, l’administration bouscule le processus de nomination.
« C’est précipité. On ne voit pas l’urgence d’agir. M. Prud’homme est là jusqu’à la fin de l’année », a signalé le chef d’Ensemble Montréal, Lionel Perez. « On pense que ça pourrait porter atteinte à la légitimité du processus. J’ai mis plus de temps pour embaucher un attaché politique que l’administration pour l’embauche d’un directeur du SPVM. C’est un non-sens. »
Les recommandations
Dans son rapport final sur la réorganisation du SPVM, Martin Prud’homme a formulé 14 recommandations. En voici les principales :Nommer un membre du comité de direction du SPVM au poste de directeur ;
Mettre en place, en collaboration avec la SQ, une équipe mixte d’enquête sur les allégations criminelles visant les policiers des deux organisations ;
S’assurer que les enquêteurs du SPVM ont la formation requise ;
Rapatrier les ressources humaines et financières au SPVM ;
Moderniser les ressources informatiques ;
Élaborer un plan pour préparer la relève des hauts dirigeants ;
Créer un bureau de vérification interne.